La question, angoissante pour de nombreux Français particulièrement en zone rurale, des déserts médicaux n’est pas nouvelle mais elle s’aggrave dans des proportions inquiétantes dans certains départements. Nombreux sont les Français qui n’ont plus de médecin traitant -théoriquement obligatoire -mais les médiateurs de la Sécu ne peuvent obliger un médecin à accepter un nouveau patient- et n’ont plus accès à des spécialistes -174 médecins spécialistes en 2024 pour 100 000 habitants contre 190 en 2023, la baisse est continuelle-.
La 1ère cause de ces déserts médicaux c’est le nombre insuffisant de médecins formés à cause du numerus clausus qui a perduré jusqu’en 2020. Et cette limitation du nombre de médecins a été mise en place particulièrement à la demande de l’Ordre des médecins et de certains syndicats. D’ailleurs l’Ordre des médecins continue. Faisant fi de l’inquiétude sur l’ampleur des déserts médicaux qui abandonne des pans entiers de notre territoire, cet « ordre » se fige dans un corporatisme d’un autre temps et, comme dans les années 1980, appelle le gouvernement à ne pas « former trop de médecins » car il serait « déraisonnable qu’il y ait en 2040 une hausse de 30 % du nombre de médecins ».
Qui représente-t-il vraiment cet « ordre » ? Représente-t-il les 15 000 médecins retraités qui continuent à exercer sans lesquels le système s’effondrerait ? Représente-t-il les médecins d’aujourd’hui qui ne souhaitent plus travailler, jusqu’à un âge très avancé et surtout avec des horaires impossibles ? A-t-il conscience de la féminisation de la profession qui a apporté une nouvelle façon de la pratiquer avec une attention plus grande à la vie personnelle et familiale ? Prend-il en compte les avancées médicales qui nécessitent plus de temps pour la coordination entre les différents spécialistes ? Cette évolution professionnelle et sociologique qui a rapproché les médecins de leurs patients, l’Ordre des médecins l’ignore. Sinon il aurait compris depuis longtemps que pour remplacer un médecin qui part à la retraite, il faut au minimum 1 et demi voire 2 praticiens.
On perçoit bien que l’Ordre des médecins défend prioritairement les revenus financiers des plus favorisés d’entre eux. Et craint que le gâteau des assurés -de moins en moins assurés, casse budgétaire de la Sécu entrainant- doive être partagé entre plus de bénéficiaires… Alors plutôt une bonne rémunération même au détriment des patients ! Et puis, être moins nombreux permet d’être plus corporatistes et de mieux peser sur les pouvoirs publics, fusse au détriment des patients. Rappelons que les médecins libéraux ont obtenu la revalorisation du tarif de la consultation des généralistes et spécialistes en 2017 en 2023 puis fin 2024 alors que la rémunération d’autres professions de santé et de nombreux Français stagne depuis des années. Cela correspond à une augmentation entre2625€ et 3500€ brut par mois en 10 ans pour un médecin généraliste.
En dehors du nombre de médecins nécessaires à former, il y a la question de leur répartition sur le territoire national. Une récente proposition de loi visait à lutter contre les déserts médicaux en permettant une régulation de l’installation des médecins sur le territoire. Le principe était que les médecins soient mieux répartis. Cette loi a entraîné une levée de boucliers importante de la part des étudiants en médecine et des syndicats de médecins libéraux, car cela « toucherait à leur liberté d’installation ». Il s’agit bien là de la déclinaison du libéralisme et de la loi du renard libre dans le poulailler libre ! En pratique, il était simplement question de réguler pas d’obliger ou d’interdire de manière systématique : les médecins libéraux pourraient s’installer comme ils le souhaitent dans les zones sous-dotées en médecins mais devraient demander une autorisation à l’Agence Régionale de Santé quand ils souhaitent s’installer dans une zone surdotée en médecins. Le 14 juin, l’Assemblée Nationale, avec l’assentiment du gouvernement, a dit non à cette régulation de l’installation des médecins.
Mais comme le titrait l’hebdomadaire Marianne, pour certains « Plutôt Dubaï que la Creuse » ! D’après les données de l’OCDE, le nombre de médecins français exerçant à l’étranger est passé de 2 300 en 2008 à 4 800 en 2020. Et les principales destinations sont la Suisse, les États-Unis ou la Belgique, la part de praticiens rejoignant le Proche-Orient augmente nettement. Nombreux sont ceux qui oublient sans vergogne qu’ils ont été formés dans les hôpitaux publics français…
Pendant ce temps, la France ouvre grand les bras à des médecins étrangers en provenance d’Algérie, de Tunisie, de Syrie, du Maroc ou du Liban : 4 000 postes de praticiens à diplôme hors Union européenne ont été ouverts en 2024, soit 1 300 de plus qu’en 2023. Que seraient nos hôpitaux sans eux !
Les Français commencent à en avoir marre et à le dire.
Un enseignant estime que la fronde des médecins n’est qu’un « caprice », alors que les pharmaciens, les infirmiers, les kinés ou encore les sages-femmes ne bénéficient pas de cette liberté d’installation. De même que les professeurs qui font des vœux s’ils veulent une autre affectation et, selon leur classement, obtiennent ou pas leur souhait. Ils sont envoyés là où il y a des besoins et le résultat est là : les profs couvrent toute la France. » « C’est du bon sens », abonde un patient de la Drôme : « On est dans un État de droit et la santé est un droit fondamental, au même titre que l’éducation ou la justice. C’est normal qu’on mette les moyens pour que tout le monde ait accès aux soins de la même façon. »