C’est l’acte II de la fin du monopole de la RATP pour les bus du Grand Paris. Jeudi 10 avril, les élus siégeant au conseil d’administration d’Île-de-France Mobilités (IDFM), l’autorité organisatrice des transports franciliens, se sont réunis pour confirmer l’attribution de trois nouveaux lots de lignes sur les treize correspondant au périmètre de la RATP.
La régie francilienne, par ailleurs présente sur de nombreux territoires en France et dans le monde, est contrainte de céder du terrain dans son berceau historique. Comme annoncé le 26 mars, les Franco-Allemands de Transdev et les Italiens d’ATM entrent dans le domaine jusqu’ici réservé de la régie, respectivement en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine. RATP Cap IDF, elle, remporte les dépôts de Massy et Morangis, en Essonne.
Des centaines de conducteurs en grève
Alors que plusieurs centaines de machinistes étaient en grève ce jeudi, un nouveau rassemblement était organisé à l’appel de la CGT-RATP à midi devant le siège de la région Île-de-France, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), contre ce processus de fin du monopole de la RATP. Les participants ont tour à tour dénoncé la « privatisation déguisée » du réseau de bus parisien, les risques de « dumping social » et la dégradation du service offert aux voyageurs.
La CGT-RATP, Sud Rail solidaires et les élus de gauche du conseil régional se sont réunis devant le siège de la région et d’IDFM, qui vote l’attribution de trois lots à Transdev, ATM et RATP Cap IDF. LP/S.C. Fait nouveau, l’association des usagers des transports en Île-de-France (AUT-IDF) ne cache pas non plus son scepticisme sur les effets de cette révolution. D’après elle, le bilan en grande couronne (réseau Optile), où la concurrence est effective depuis 2021, reste à faire. « Les usagers et leurs associations n’ont pas constaté d’amélioration globale du service offert (tracés, fréquence, régularité, information voyageurs…) et ont même parfois gravement pâti du changement d’exploitant, manifestement mal organisé. IDFM n’a publié aucune donnée sur l’évolution de la qualité du service rendu », regrette l’association dans un communiqué. « Il y a un vrai problème de transparence », ajoute Marc Pélissier, le président de l’AUT-IDF.
Corriger le tir en cas de dérive
Une fois par an, les patrons des opérateurs présents en grande couronne sont auditionnés par IDFM et affichent des statistiques favorables. Une démarche d’évaluation que Valérie Pécresse, la présidente d’IDFM, souhaite justement renforcer. « IDFM publiera dorénavant un baromètre trimestriel général des transports collectifs, incluant des focus sur les bus, le transport scolaire et le transport à la demande », a-t-elle déclaré en janvier lors de ses vœux. Une « première version » de ce baromètre trimestriel sera présentée « en mai », confirme IDFM, ainsi qu’un « bilan approfondi des délégations de service public » en cours.
Suffisant pour rassurer les voyageurs ? L’AUT espère que cet outil « soit le plus représentatif possible du vécu des usagers ». Jean Castex, le patron du groupe RATP, a suggéré pour sa part la création d’un observatoire de la concurrence, chargé d’évaluer le processus et de corriger le tir en cas de dérives. « Un observatoire indépendant (sous l’égide de l’Autorité de régulation des transports, par exemple) pourrait tirer un bilan objectif de cette mise en concurrence, alimenté notamment par des témoignages de terrain », appuie l’AUT.
Le courrier d’IDFM aux 15 000 agents RATP
Au-delà des chiffres de ponctualité, l’association d’usagers, des élus et les organisations syndicales s’interrogent sur le coût réel du processus. « La réduction des coûts n’est-elle pas allée trop loin alors que tous les exploitants se plaignent de déficits d’exploitation parfois très lourds ? » s’interroge l’AUT, après le vote de « rallonges » pour compenser les pertes cumulées par les opérateurs en grande couronne, de l’ordre de 130 millions d’euros. « On peut légitimement s’inquiéter que la qualité de service pour les usagers ne soit plus une priorité dans ce contexte économique. En résumé, flou, incertitudes, inquiétude dominent. Il n’est pas du tout certain que les usagers en sortent gagnants ! » conclut l’AUT.
Signe que la période qui s’ouvre alimente les doutes parmi les personnels, Valérie Pécresse et le directeur général d’IDFM, Laurent Probst, ont adressé dès le 26 mars un courrier aux 15 000 agents RATP concernés par des transferts, pour tenter de les rassurer. « La fin du monopole d’exploitation des lignes de bus de la RATP prévue par la loi est porteuse d’inquiétudes légitimes de la part des salariés, avec la possibilité d’un changement d’employeur », écrivent-ils. Ils énumèrent ensuite les garanties apportées par la loi pour conserver un même niveau de rémunération. À ce « sac à dos social » s’ajoutent des renforts d’agents de sécurité sur les lignes, des bus neufs et la création de « nouveaux locaux » pour les conducteurs.
Mais outre les conditions salariales, c’est toute une culture professionnelle construite depuis soixante-dix ans à la RATP qui est chamboulée. Logiciels internes, formations, régulation, information voyageurs, coordination entre services… Anciens et nouveaux acteurs vont devoir apprendre à s’entendre et à dialoguer, sous l’égide de l’autorité organisatrice. Valérie Pécresse l’assure : « Nous serons en accompagnement permanent et vigilant auprès des opérateurs tout au long du contrat de délégation de service public et plus particulièrement au long du processus de transition ».