Bac, Pacte, Stat’, Parcoursup et Cie
Par Mathieu LAVARENNE - Journal RESO n° 227 - Juillet/août 2023
Mis en ligne le 7 juillet 2023

1. Alors que les sujets de philo tournaient en boucle sur les radios du jour, le peu de motivation des élèves de terminale s’est notamment fait sentir en dénombrant les copies rendues au bout de l’heure minimale réglementaire sur les quatre allouées. Il faut dire qu’avec les résultats du contrôle continu et des épreuves dites de spécialité, la plupart avaient déjà la certitude que leur diplôme était déjà au fond de leur poche puisque 80% de leur note globale était connue dès la fin du mois de mars... Grosses pensées empathiques pour tous les professeurs qui ont fait cours ces derniers mois devant des effectifs particulièrement réduits et plus que jamais dissipés... La philosophie au lycée est désormais réduite comme peau de chagrin, dans les bas-côtés du post-humain. Et c’est bien triste.

2. Mais ce n’est que l’image en miniature de ce qu’est devenu le Bac car le contrôle continu, en parallèle de l’évaluation par compétences, ce saucissonnage de cerveau, a surtout été conçu comme une façon d’évaluer les profs et les établissements (dont l’autonomie a été un cadeau empoisonné, prélude à leur libéralisation) : si les résultats sont trop mauvais, ce sont les personnels qui trinquent puisque, selon la vision court-termiste actuelle, ils en seraient les responsables. Conséquence : les résultats seront nécessairement bons... Sous peine de sanctions (j’ai connu des descentes d’inspecteurs en escadron pour redresser des équipes supposément défaillantes parce qu’elles avaient donné la monnaie de leur pièce à des élèves m’enfoutistes et turbulents). Quoi qu’il arrive, les beaux fromages de statistiques seront donc au menu du ministère, qui sabrera le champagne en se gaussant, non de ses froides courbes d’indicateurs chiffrés et de leur beauté toute mathématique, mais du niveau scolaire des gueux, ces "inutiles" tout juste bons à traverser la rue pour trouver un job et servir de main d’œuvre jetable aux "dieux" d’Harari dressés sur la scène publique comme de nouvelles idoles (alors qu’ils ne sont bien souvent que de vulgaires veaux d’or).

3. Et puis ce "Pacte" qui est en train de se mettre en place au forceps et dans une pseudo-urgence délétère, c’est la corruption en marche, au sens aristotélicien du terme... la dégénérescence des équipes, la financiarisation du dévouement, la perversion du collectif, la prime à la servilité, la trahison des hussards, un engrais pour les passions tristes... Pomme d’or de la discorde, le Pacte suscite déjà çà et là des psychodrames, met des directeurs d’école, des principaux, des proviseurs, des professeurs devant des choix cornéliens, démotive ceux qui avaient l’habitude de donner (de leur corps, de leur cœur), motive ceux qui ont surtout besoin de pognon (et on ne peut même plus les en blâmer, ils ne sont pas plus dingues que d’autres face à, pour le coup, la divine providence de l’inflation qui ne touche pas toutes les couches sociales de la même façon). On n’a assurément pas fini d’en ressentir les impacts.

4. Évoquons encore Parcoursup, qui apparaît parfois comme un nouvel amateurisme, faisant certes des dégâts dans l’orientation, ce dont on aurait l’habitude venant de l’éducation nationale, alors que ce dispositif est le verrou parfaitement réfléchi du système inégalitaire qui se construit. Parcoursup, c’est avant tout de l’intelligence artificielle, au sens faible de l’IA, c’est-à-dire la capacité à traiter massivement, rapidement et simultanément des données bien plus efficacement qu’un cerveau humain. Mais les algorithmes informatiques sont créés par de cerveaux humains. Et l’IA applique un programme, toujours humain, très humain. Et que dit ce programme ? Rapide retour en arrière. Sarkozy fut celui qui mit en application la LOLF (loi organique de loi de finance, adoptée en 2001 par Jospin et Moscovici) qui a fait basculer nos institutions dans la "culture du résultat" à l’anglo-saxonne, notamment dans le domaine de l’éducation nationale, après l’avoir initiée au ministère de l’intérieur, puis appliquée au monde de la santé, sous Bachelot, avec les effets que l’on se prend en plein visage depuis quelques années, bien avant le Covid. Ce culte du pilotage par les chiffres a abouti à une sorte de déshumanisation de la politique et de la société en général, faisant advenir un monde virtuel où l’on ne fait plus confiance à l’humain, mais davantage aux graphiques et aux statistiques (outils intéressants quand ils sont utilisés avec de la bonne foi scientifique, mais qui relèvent de "l’art de mentir avec précision" quand les enjeux sont politiques). Eh bien, depuis des années nous nous sommes habitués à classer les établissements scolaires selon des grilles de ce type, avec, sur les Unes des journaux, les palmarès des établissements les plus cotés (sorte de bourse éducative)... D’où aussi la nécessité de l’autonomie des établissements et leur mise en concurrence entre eux avec cette logique des options de spécialité (et, en leur sein, la concurrence entre les enseignants eux-mêmes dans le but d’obtenir des heures et éviter la suppression de leur poste). Or, Parcoursup, comme leur suite logique, intègre dans son algorithme des pondérations en fonction de ces fameux classements d’établissements : autrement dit, si vous êtes un bon élève dans un établissement mal classé, vous aurez moins de chances d’être pris dans telle ou telle formation post-bac qu’un bon élève d’un établissement mieux classé... Or, par expérience, un très bon élève reste un très bon élève quel que soit son établissement et il ne mérite pas une telle pondération négative qui procède d’une conception oligarchique et ploutocratique de l’éducation.

5. Ajoutons qu’un des projets actuellement dans les tuyaux (voir le site du Café pédagogique du 14 mars dernier), ce serait de supprimer purement et simplement tous les concours... sauf l’agrégation ! D’un côté donc, une élite diplômée pour les écoles censitaires du privé qui vont assurément faire monter les enchères et, de l’autre, du recrutement local d’employés pour le système public de la "charité éducative"... Car, au fond, il s’agit là du même modèle que la CMU (Couverture Maladie Universelle, devenue PUMa), sorte de légalisation de la charité pour les plus pauvres, laissant les cliniques privées aux plus riches, et abandonnant les classes moyennes à la jungle libérale. Tout comme pour la récente réforme des retraites qui va entraîner, avec l’inéluctable rognage des pensions, le maintien factice d’un régime de répartition a minima pour les pouilleux (une sorte de CRU, couverture retraite universelle) et la capitalisation pour ceux qui en auront les moyens (et les moyens du risque). En tout cas, ce qui se construit en ce moment, c’est bel et bien une CEU, une sorte de "couverture éducative universelle"... Et comme l’a récemment formulé Macron lui-même à propos des hôpitaux : "on est dans une période où on refonde, on est en train de réinventer un modèle. C’est plus dur de le réinventer quand tout n’a pas été détruit."