Le mépris pour la Fonction publique en action
Par Antoine DUCROS - Journal RESO n° 225 - Mai 2023
Mis en ligne le 28 mai 2023

Le gel du point d’indice depuis 2010 (avec certes une petite hausse isolée en 2016, et une autre plus importante l’année dernière mais qui est restée largement en-deçà de l’inflation) a aujourd’hui des conséquences funestes qui éclatent au grand jour, à savoir les crises de recrutement absolument dramatiques dans le secteur de la santé et dans celui de l’Éducation nationale.

Mais il en a d’autres, sans doute moins visibles dans l’immédiat mais qui à moyen terme auront sans nul doute des effets catastrophiques. Et parmi celles-ci figure en bonne place la « smicardisation » d’une partie grandissante de la fonction publique. En effet, le SMIC n’a quant à lui (et heureusement !!!!) pas été totalement gelé et augmente un peu chaque année, même si en général cette augmentation ne compense pas intégralement l’inflation. Et ce qui doit arriver arrive : régulièrement, les échelons les plus bas des grilles de la Fonction Publique se retrouvent dépassés par le SMIC, ce qui est illégal ; l’État est donc tenu de relever ces échelons, ce qu’il fait (Guérini a présenté le dernier relèvement en date comme un geste spontané et généreux du gouvernement, mais la manœuvre est grossière : ce dernier n’avait pas le choix). Mais il ne touche pas aux échelons suivants, qui deux ou trois ans après sont à leur retour rattrapés par le SMIC. Et après des années on se retrouve avec des catégories de personnel qui n’ont pratiquement plus d’évolution de carrière : ils commencent au SMIC ou tout juste au-dessus, et y restent pendant des années, toute leur grille ayant été tassée à ce niveau.

Le site de l’UNSA présente ainsi l’exemple édifiant de la grille dite C1, dont les huit premiers échelons, couvrant douze ans de carrière, sont désormais tous au même niveau (le SMIC a donc « doublé » huit échelons de la grille C, en dix ou quinze ans...) ; et après ces douze ans l’heureux fonctionnaire a enfin une augmentation de... dix euros par mois C’est évidemment désastreux pour les personnes concernées, mais ça l’est aussi pour le service public dans son ensemble : comment croire en effet qu’une pratique salariale aussi aberrante ne débouchera pas, à un moment ou un autre, sur des difficultés majeures de recrutement, des problèmes de motivation, des démissions

Sous peine d’un effondrement général de l’ensemble des services publics (dont on perçoit les signes avant-coureurs à l’école et à l’hôpital), il est donc urgent de rompre avec cette politique court-termiste de rabotage lent mais sûr des revenus réels des fonctionnaires, en commençant par réindexer le point, puis en lançant un plan de rattrapage du pouvoir d’achat perdu en vingt ans, et en reconstituant des grilles offrant des perspectives de carrière raisonnables.

Mais je ne suis pas très optimiste : les équipes actuelles regroupent des gens qui ont pour beaucoup servi sous Sarkozy ou Hollande, et donc approuvé en son temps cette mise au régime sec des agents de l’État. Et Macron a poursuivi dans cette voie, visiblement sans prendre le moins du monde la mesure du problème (rappelons-nous son mépris pour les revendications des soignants avant le COVID, ou sa volonté initiale de réduire drastiquement le montant des retraites des fonctionnaires) ; et confronté aujourd’hui aux conséquences catastrophiques de ces choix dans l’éducation et la santé, il se contente de rustines, sans vision globale, et sans rien faire pour prévenir les crises analogues qui ne pourront manquer de surgir dans d’autres secteurs si l’on continue ainsi.