"M. Piolle, en autorisant le burkini, vous renforcez une aliénation"
Par Henri Peña-Ruiz (chronique parue dans le journal Marianne et retranscrite dans le n° 215 (juin 2022) du journal RESO)
Mis en ligne le 7 juin 2022

Monsieur le Maire,

Vous voulez autoriser le burkini dans les piscines municipales. Celles-ci sont publiques et comme telles soumises aux règles d’hygiène qui sont d’intérêt général et non négociables. Sauf à briser la République comme cadre commun à toutes et à tous en admettant que des règles particulières puissent tenir en échec la loi commune. Vous jugez donc habile d’adopter une rhétorique universaliste en mélangeant tout : les seins nus, le short, le burkini. Une remarque : le short et le burkini contreviennent à l’hygiène, ce qui n’est pas le cas des seins nus.

Vous voulez oublier que le slip de bain moulant, donc au plus près du corps, éventuellement assorti d’un bonnet, est une mesure d’hygiène, imposée par une politique de santé publique pour tous les bassins aquatiques fermés. Un tel règlement n’aurait aucune raison d’être dans la mer, milieu aquatique ouvert. Des élus de droite, récemment, ont voulu y interdire le burkini. Ils avaient tort, dès lors que l’hygiène n’était pas en cause. Bref il aurait été moins contestable de maintenir le slip moulant, quitte à autoriser le burkini à la condition qu’il soit raccourci et moulant, ce qui toutefois aurait eu peu de chances de satisfaire les religieux soucieux de cacher le corps de la femme. Maintenant parlons du principe de liberté, que vous mettez en avant en oubliant sa définition mémorable : « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, article 4). Le règlement concernant la tenue de bain vise à préserver l’hygiène, et ne pas le respecter c’est bien nuire à autrui. L’hygiène publique est une exigence universelle, qui fait partie du bien commun. La religion est un particularisme, qui n’engage que ses fidèles, et ne saurait donc l’emporter sur la loi commune. Le creuset français s’est construit sur ce constat simple à comprendre. C’est dans un cadre républicain laïque, affranchi de tout particularisme, que des populations de toutes origines peuvent s’entendre.

Sous prétexte de liberté non seulement vous consacrez le défi à l’hygiène publique par un particularisme religieux, mais vous présentez comme allant de soi et incontestable l’imposition à la femme d’une pudibonderie sélective, puisque c’est elle et elle seule qui doit cacher son corps.

Parlons maintenant de la laïcité, si souvent calomniée. En affranchissant la loi commune de toute tutelle religieuse, elle joue un rôle émancipateur, que vous semblez oublier. En l’occurrence, elle récuse toute démarche qui fait passer l’intérêt commun, à savoir l’hygiène publique, après la prétendue liberté religieuse. La préséance d’une exigence universelle sur les croyances particulières et les usages qu’elles consacrent n’a rien de liberticide car elle garantit le libre choix d’une religion ou d’un humanisme athée, pourvu que l’un et l’autre respectent la loi commune. Souvenez-vous que la Révolution Française a donné les droits de l’homme comme fondement aux lois communes, en lieu et place des particularismes coutumiers, véhicules fréquents de traditions rétrogrades liées au machisme patriarcal.

C’est pour cette première raison que votre décision bafoue la laïcité et sa dimension émancipatrice. Mais il y en a une seconde, tout aussi grave. Sous prétexte de liberté, non seulement vous consacrez le défi à l’hygiène publique par un particularisme religieux, mais vous présentez comme allant de soi et incontestable l’imposition à la femme d’une pudibonderie sélective, puisque c’est elle et elle seule qui doit cacher son corps. Ce n’est pas le rôle d’une institution publique de présenter comme normale et habituelle une telle aliénation, et ce faisant, de l’encourager. Pascal rappelait que l’habitude est une seconde nature. Que vous le vouliez ou non, vous renforcez une aliénation, car en la consacrant, vous la constituez en exemple à suivre, ce qui est une aubaine pour les religieux qui veulent l’imposer.