Services d’urgence : attention danger !
Par Antoine DUCROS - Journal RESO n° 214 - Mai 2022
Mis en ligne le 23 mai 2022

Article très angoissant récemment dans Libération sur l’état des services d’urgence, de plus en souvent contraints de fermer les nuits ou les week-ends, ou de dégrader très fortement leurs services (malades entassés pendant de longues heures sans voir de médecin, etc.) La cause essentielle : le manque de personnels, suite aux démissions, aux burn-outs massifs, et aux difficultés de recrutement. L’hôpital n’est pas le seul service public à être dans une situation proche de l’effondrement. J’ai signalé récemment la désaffection catastrophique à l’égard des concours d’enseignement (au CAPES de maths il y a déjà moins d’admissibles que de postes à pourvoir), les rectorats recrutent en urgence des centaines d’enseignants vacataires sur petites annonces....

Les gouvernements de ces quinze ou vingt dernières années, sous Chirac, Sarkozy, Hollande puis Macron (ce dernier s’étant appuyé d’ailleurs en grande partie sur des équipes ayant participé aux trois quinquennats précédents) sont les responsables de ces fiascos de grande ampleur. D’une part, ils n’ont eu de cesse de baisser les salaires des fonctionnaires (indirectement certes, ils ont fait faire le sale boulot par l’inflation) et d’annoncer régulièrement qu’ils allaient s’attaquer à leurs pensions. D’autre part, ils ont passé leur temps à malmener les administrations et les services publics à grands coups de suppression d’effectifs, de baisses de crédits d’équipement ou de fonctionnement, et aussi en les soumettant à un rythme effréné de réformes dont on se garde bien d’évaluer l’efficacité (on n’en aurait de toutes façons guère le temps : en général trois ou quatre ans après une réforme, une autre survient qui chamboule à nouveau tout), et qui débouchent le plus souvent sur une bureaucratisation accrue aux conséquences pratiques désastreuses— voir la mirifique tarification à l’activité à l’hôpital, instituée pendant le quinquennat de Sarkozy sous la houlette d’un certain Jean Castex.

Derrière ces choix effroyables on trouve bien sûr en premier lieu la détestation de la dépense publique, du moins quand elle bénéficie aux services de l’État : car quand il s’agit de faire prendre en charge par la collectivité (par des déductions fiscales) le paiement des heures supplémentaires du secteur privé, les cours particuliers dispensés par Acadomia ou d’autres boîtes du même tonneau, ou une partie des dépenses en recherche et développement (ou maquillées comme telles) de certaines sociétés, c’est table ouverte....

Mais on trouve aussi une idéologie managériale, fascinée par l’un des pires aspects du secteur marchand, les bullshit jobs à la Graeber ; le recours immodéré aux cabinets de conseil dont les représentants sont totalement incapables d’expliquer aux députés le contenu d’une mission qu’ils ont facturée 500 000 euros, en est une bonne illustration. On se trouve maintenant à la croisée des chemins. Pendant longtemps, ces politiques « se contentaient » de conduire à un délabrement en pente très douce, mais dans certains secteurs on est désormais au bord de la débâcle totale. Un changement d’approche en profondeur s’impose, et de toute urgence.

Et je doute qu’on puisse compter sur Macron et ses amis pour le mettre en œuvre : en dépit de trois ans de grève et de protestations des urgentistes puis de deux ans d’épidémie qui ont mis en évidence le risque d’effondrement de nos services hospitaliers, rien n’a été sérieusement fait pour y remédier, et la situation s’y est au contraire spectaculairement aggravée ces derniers mois....