Le voile même choisi librement reste un outil de ségrégation
Par Fatiha BOUADJAHLA Tribune publiée dans le Figaro du 15 avril 2022
Mis en ligne le 2 mai 2022

L’échange est surréaliste, la femme voilée lui demande à lui s’il est féministe, elle avait bien appris ses gammes pour enchaîner avec la liberté des femmes de se vêtir comme elles le veulent.

Il l’a coupé, une bonne chose, pour lui demander, chose stupide, si elle portait volontairement ce hijab ou s’il lui avait été imposé. Qui oserait faire un tel aveu devant les caméras et son quartier…. Et cette sortie, qui rappelait le Macron évangélique de 2017 sur le droit de vivre dans l’intensité de sa foi "C’est merveilleux, vous êtes féministe et voilée". C’est faux.

Et le candidat Macron n’est évidemment pas dupe, lui qui disait, Président, que le voile nous insécurisait parce qu’il n’était pas "conforme à la civilité qu’il y a dans notre pays. Nous sommes attachés à l’égalité entre la femme et l’homme", et la Cour Européenne des Droits de l’Homme a déjà statué que le voile était difficilement conciliable avec l’égale dignité entre les femmes et les hommes.

Delphine Horvilleur mettait en garde ceux qui "suggèrent qu’il suffit qu’une femme parle depuis sa tradition pour que sa parole soit féministe." Il n’y a pas de féminisme religieux, catholique, juif, musulman, on ne peut être féministe et religieuse et a fortiori dans l’orthopraxie. On est soit dans l’intensité de sa foi et de sa piété, soit dans le féminisme. Dans le premier cas, on peut se battre pour le maximum de droits que le carcan patriarcal religieux et culturel nous autorise à revendiquer. Mais la priorité est d’abord de se conformer au code religieux. Quand on est féministe, et ce combat politique n’est pas livré avec l’utérus, mais avec le cerveau et l’émancipation, on se bat contre le carcan patriarcal, en débarrassant le bon grain de la spiritualité de sa religion de l’ivraie du patriarcat de son époque de construction.

Ce que rappelle Wassyla Tamzali : "Comment et où pouvons-nous trouver le droit d’être des hommes et des femmes libres, sinon dans la résistance à notre culture, à nos traditions religieuses quand elles sont contraires à ces principes ?", et le voile est contraire au principe d’égale dignité. Wassila Tamzali rajoutait, à propos des Occidentaux, et nous, musulmanes de France sommes occidentales aussi, "À quoi ont-ils eux-mêmes arraché ces droits, sinon à leurs Églises, leur religion, leur culture, leurs traditions ?".

Ce n’est pas la question du libre choix qu’aurait dû poser le candidat Macron. Et si cette femme voilée (son identité est toute entière dans ce voile) peut jouir de droits égaux, de libertés, ce n’est pas à l’islam ou à une pratique cool de l’islam qu’elle le doit, mais à l’État de droit et aux valeurs occidentales, européennes et françaises qui contiennent, retiennent les religieux. Elles disposent de l’ostentation orgueilleuse de la pratique orthodoxe, sans les inconvénients, sans le reste de la panoplie misogyne, parce que la société du voile, la culture du voile se donne à voir dans les riantes contrées d’Iran, du Pakistan. Et le voile ne change pas de sens selon qu’il est porté librement ou non, sinon qu’il rose ou noir. C’est l’instrument du patriarcat islamique de ségrégation des sexes qui fait de la femme un organe génital total.

Qu’aurait dû dire Macron ? C’est simple. S’adresser à elle comme citoyenne. Ne lui laissant que l’opportunité de répondre en citoyenne. Ne pas évoquer le voile, puisque c’est le pouvoir d’achat, la transition écologique, la situation en Ukraine qui sont les grands thèmes de cette élection. Il s’est adressé à elle en tant que musulmane, surmusulmane, elle a répondu comme tel. Elle ne se soucie pas de l’intérêt général, mais de l’intérêt particulier de ceux qui lui ressemblent. Notre modèle républicain s’en trouve trahi.

Bien sûr, il ne saurait être question d’interdire le voile dans l’espace public ou dans les services publics pour les usagers. Le code de la Fonction publique ( L121 et suivants ) rappelle que les agents publics (d’État, hospitaliers, territoriaux) sont tenus de "ne pas manifester leurs croyances religieuses" et d’observer une stricte neutralité sur leur lieu de travail. La liberté est la règle ailleurs et pour tous. On ne peut interdire les signes religieux et ce n’est même pas souhaitable. Mais il faut combattre ce signe sexiste et le dénoncer pour ce qu’il est et pour le continuum de violences misogynes dans lequel il s’inscrit. Il en va autrement pour les jeunes enfants pour qui le voile, comme le jeûne, etc., doivent être interdits comme exigences éducatives disproportionnées.

Le corps électoral segmenté en lobby et en communautés ethniques et religieuses, c’est le multiculturalisme anglo-saxon qu’on invite à venir en France.

Ce vote communautariste, rêve du CCIF dissous, on le doit à Mélenchon qui a repris l’accusation d’islamophobie et créé une panique identitaire. Voilà qu’un groupe d’individus se coalise en communauté. C’est l’objectif principal de cette panique identitaire que la FI a alimenté. Le philosophe Michael Walzeren expliquait la mécanique : "l’intolérance", même fantasmée a souvent pour effet la conservation des groupes qui en sont les victimes. » Or, Walzer explique dans les États européens et singulièrement en France, alors que ces groupes ethniques et religieux ne peuvent assurer leur propre existence qu’en tant qu’associations volontaires, "ces groupes ont plus à redouter de l’indifférence de leurs propres membres que de l’intolérance des autres." Les deux actes de la FI : la présence à la manifestation qui a vu des Allah Akbar scandés comme uniques slogans politiques, et cette drague lourde et efficace qui a permis à Mélenchon de rafler 80% des voix des électeurs musulmans. Et ceux-ci se sont déterminés en fonction des intérêts de leurs pratiques religieuses. Pas contre le nucléaire ni pour la VIe République. Il y aura un effet cliquet, ce clientélisme qui se voyait à l’échelon municipal apparaît pour la première fois à l’échelle nationale.

Prochaine épreuve, c’est le cas de le dire, les JO de 2024 alors que la charte olympique interdit les signes religieux et politiques. Laisserons-nous des athlètes voilées au nom du sport qui émancipe, même si cette émancipation prend les voies tordues des exigences patriarcales ?