Guerre en Ukraine
Par Nicolas BONIN - Journal RESO n° 212 - Mars 2022
Mis en ligne le 12 mars 2022

Priorité doit être à la solidarité avec le peuple ukrainien dont le territoire est agressé par l’armée russe et qui résiste sous les bombes. Ce sont toujours les peuples qui souffrent de la guerre. Il faut donc exiger de Poutine le retrait immédiat de ses troupes. Mais il faut aussi construire ensuite les conditions d’une paix durable. Cela exige de la fermeté et de la rationalité.

Nicolas Bonin expose ici de libres propos empreints de raison de ce que pourrait être la donne diplomatique de la guerre Russie-Ukraine.

- Trois pays apparaissent aujourd’hui comme des médiateurs d’un possible arrêt des combats : Israël, la Turquie et la Chine. Ces pays effectuent des allers-retours entre Ukraine et Russie pour chercher un point où débuter la discussion. Israël est un pays proche des Etats-Unis, mais qui entretient depuis longtemps des relations, sinon cordiales avec la Russie, du moins stratégique. Pour frapper ses ennemis iraniens en Syrie, elle évite soigneusement de toucher les Russes et se coordonnait avec eux, par exemple. En l’appelant à l’aide, le président Zelenski a choisi judicieusement un pays "neutre". Ce pays ne jouera pas la carte d’un des deux protagonistes. Il peut assurer la navette sans être accusé de jouer double jeu.

La Turquie est membre de l’Otan, mais a récemment eu des coopérations avec la Russie (Syrie, Arménie). Elle a fourni par ailleurs à l’Ukraine des armes hautement symbolique. Quant à la Chine, c’est un allié franc des Russes, mais lié économiquement à l’Ukraine.

- Pourquoi la France (ou l’Allemagne) ne pouvaient jouer ce jeu ? La séquence diplomatique pré guerre a été portée par la France. Si Poutine avait accepté cette solution, la France aurait alors joué les bons offices. En choisissant la guerre, Poutine n’a pas laissé le choix aux Français. Au contraire, Macron a été en pointe sur la riposte économique. A partir de là, la France devenait un "protecteur" de l’Ukraine et ne pouvait plus jouer le rôle de médiateur.

Précision : Je n’ai aucune amitié pour Macron. Je ne voterais pas pour lui, MAIS sur cette séquence diplomatique, il a fait ce qu’il fallait faire, compte tenu de nos marges de manoeuvre. La France a clairement impulsé la dynamique de la riposte économique, obtenu un réarmement, des changements sur le plan énergétique et agricole. Bref ce qu’elle réclame depuis des mois. On verra si l’essai est transformé par la suite, mais c’est une autre histoire.

Les mauvais procès sur son positionnement diplomatiques sont ridicules. La droite n’aurait pas fait différemment, quant à l’extrême gauche ou l’extrême droite, elles auraient au mieux incanté en faveur de la Paix, au pire laissé Poutine s’emparer de la moitié de l’Ukraine, sans lever le petit doigt. Il fallait les sanctions économiques pour enrayer sa marche en avant, même si elles vont également nous coûter.

Si vous voulez trouver du lourd contre Macron, lisez le Canard de ce jour sur ses liens avec les nationalistes corses, ou les essais sur le rôle d’Alexis Kohler (notamment dans la vente d’Alsthom). Sur l’Ukraine, personne n’aurait fait autrement, à moins de servir les intérêts de Poutine et de courir le risque d’une nouvelle invasion à court terme de la Moldavie.

Seconde précision : J’ai l’intuition depuis le début que la proposition de Donbass + Crimée était déjà le compromis envisagé par les Occidentaux avant l’attaque. L’entrée ou non de l’Ukraine dans l’Otan était un faux problème, les Américains se seraient contentés d’un statut de neutralité, dès lors que Poutine n’allait pas pérorer partout : "j’ai bloqué l’Otan". Pourquoi je pense ça ?

1/ Parce que les Américains ont tendance à délaisser l’Otan, où ils aimeraient voir les Européens prendre le relais.

2/ L’entrée de l’Ukraine dans l’Otan n’a jamais été une option, après 2014, sinon, il y aurait eu une brigade américaine sur place et ou davantage d’armes livrées aux Ukrainiens. Au contraire, les Américains ont assimilé l’Ukraine à un risque de guerre avec la Russie. Ce qu’ils ne veulent pas. C’est la Chine leur adversaire.

3/ La manœuvre ici vient de "l’Otan de l’Est", c’est à dire des ex du Pacte de Varsovie comme la Pologne qui veulent voir entrer l’Ukraine pour assurer un front commun contre l’ex occupant. Cet Otan de l’Est est lié à la Turquie par des accords de ventes d’armes. Bref, je pense que le compromis final qui sera trouvé aurait pu l’être sans cette guerre, mais que Poutine a voulu jouer gros et (tenter une partition de l’Ukraine).

Pourquoi la Russie veut-elle négocier ? J’en ai parlé dans mon précédent post, mais la campagne ne se passe pas comme prévu et les buts de guerre espérés sont sans doute loin d’être atteints, à cause des problèmes logistiques et de la résistance ukrainienne. Un des points intéressants, c’est que cette résistance provient autant des ukrainophones que des russophones. Hors Donbass, Poutine a soudé les Ukrainiens contre lui.

Venons-en à l’Ukraine. La dernière déclaration de Zélenski est très parlante. Il accuse l’Otan d’avoir abandonné son pays, ce qui lui permet : 1 d’avoir une explication à fournir à son peuple pour expliquer un arrêt des combats. 2 De faire un geste vers la Russie en indiquant que ce n’était plus non négociable. La Russie a répondu en assurant ne plus vouloir démettre le gouvernement Zelenski. L’option "Finlande" est sur la table.

L’Ukraine a-t-elle intérêt à négocier ? Tant qu’on ne vit pas une guerre sur son propre sol, avec la vie de ses propres enfants, frères, soeurs, parents en jeu, il est difficile de comprendre les Ukrainiens. Elle est prise entre deux options contradictoires et cruelles : d’un côté résister pour que les morts ne le soient pas "pour rien", de l’autre s’en sortir avec un compromis pour se reconstruire. Il y a des éléments que nous n’avons pas : quels sont les stocks disponibles pour les Ukrainiens (armes, mais aussi vivres) ? Quelle est la chance de conserver un mouvement uni en cas d’occupation du territoire ?

Oui, les Ukrainiens ont vaillamment résisté, mais cette résistance a un coût, humain et matériel. N’oublions pas non plus ce qui se passe sur le terrain. Si l’armée russe parvient à percer au Sud, toutes les unités ukrainiennes qui font face au Donbass risquent d’être prises au piège. L’armée ukrainienne aura alors deux options : se replier sur la Dniepr et perdre l’Est du Pays, offrant ainsi la possibilité d’une partition à l’Allemande ; ou résister sur place et poursuivre par du combat de partisans, avec le risque de l’anéantissement. Dernier point, la critique de Zelenski révèle également une part du dilemme : tenir dans des conditions abominables à du sens, si un relais arrive. A Verdun, les soldats français ont tenu avec l’énergie du désespoir, car ils avaient la perspective d’être relevés, via la voie sacrée. Ici, il n’y a pas de voie sacrée et trop peu de volontaires internationaux.

Je l’ai écrit, mais à court ou moyen terme, la Russie peut l’emporter par le nombre, mais se faire pourrir par les Ukrainiens sur le long terme. Dans le même temps, les Ukrainiens jouent sur leur capital sympathie dans le monde, mais subissent aussi une attrition. Ils perdront à un moment l’attention des médias internationaux. Dernier point, la Russie pourrait faire défaut sur le plan économique. Elle a donc intérêt à signer rapidement pour retrouver un peu d’air financièrement. Les deux peuvent avoir intérêt à négocier plus ou moins rapidement.

Pour moi, le compromis pourrait prendre la forme suivante :

Crimée reconnue Russe

Non adhésion de l’Ukraine à l’Otan, avec statut de neutralité dans la Constitution.

Récupération des territoires conquis pendant cette opération par les Russes.

Sur le Donbass, je ne sais pas ce que les Russes obtiendront, annexion, fiction de deux états indépendants ou intégration à l’Ukraine, mais avec large autonomie (retour à Minsk II). Un recul russe sur le Donbass sera un cadeau fait aux Ukrainiens.

Il se pourrait aussi qu’un troc ait lieu pour compenser la non adhésion à l’Otan, ce serait celle d’une adhésion à l’Union européenne. Rappelons-le, mais la Finlande est membre de l’UE sans être membre de l’Otan. Cette option posera la question du devenir de l’Europe de la défense et peut ramener l’Union européenne à un simple espace de coopération économique.

Bien sûr, ça ce serait le compromis si les combats s’arrêtaient maintenant ou dans les quelques jours à venir.

- Côté Russe, une perçée en tenaille pour prendre à revers le Donbass offrirait à Poutine un poids supplémentaire dans la négo, MAIS si la situation éco dégénère (et c’est le cas) le prix va devenir plus élevé pour la population et sa popularité.

- Côté Ukrainien, tout repose sur la capacité à tenir encore et encore.