Macron faux roi d’Europe
Par Jean-Claude Chailley - Journal RESO n° 211 - Février 2022
Mis en ligne le 25 février 2022

Ce 1er janvier le drapeau européen flotte sous l’Arc de triomphe. C’est un symbole politique du plus haut niveau : il n’y a que dans l’Union européenne qu’on a 2 drapeaux : le drapeau européen et les drapeaux nationaux, drapeau français, drapeau belge,… Dans les autres pays du monde il n’y en a qu’un, que ce soient les Etats Unis, l’Inde, le Japon, le Mexique, l’Algérie, la Chine, l’Ouganda, … 2 drapeaux, ça ne peut pas durer éternellement. Ce 1er janvier, prenant la présidence du Conseil de l’Union européenne, Emmanuel Macron affiche de nouveau, au nom de la France, sa conviction fédéraliste : une fois l’Union européenne devenue Fédération ou Confédération européenne, il ne resterait qu’un seul drapeau, le drapeau européen.

Dans le contexte de la présidentielle, le drapeau européen à l’Arc de triomphe, c’est aussi un cadeau à l’extrême droite en vue du 2ème tour : il faudrait de nouveau voter Macron, non pas par adhésion à sa politique très largement rejetée, mais par crainte de Le Pen ou Zemmour. Mais Valérie Pécresse, tout aussi « européenne », se saisit de façon parfaitement démagogique du symbole. Macron se dépêche de retirer son drapeau, piteusement.

Président au nom de la France du conseil de l’Union européenne, Jupiter se met en scène comme s’il avait pendant 6 mois (ou 4 mois) autant de pouvoir que la Vème République lui en donne en France. Il en rêve probablement, mais ce n’est pas le cas.

C’est une présidence tournante de 6 mois dans une Union européenne à 27 pays, avec 4 institutions : le Conseil européen (les chefs d’Etat ou de gouvernement, président Charles Michels), le Conseil de l’Union européenne ou Conseil des ministres qui réunit les ministres (présidence France pour 6 mois), la Commission européenne (présidente Ursula von der Leyen), le Parlement européen (présidente Roberta Mestola).

6 mois c’est peu. La présidence française s’inscrit dans un programme de 18 mois adopté le 10 décembre pour les présidences française, tchèque et suédoise.

Lorsque le 19 janvier Macron s’adresse au Parlement européen, le programme détaillé est déjà adopté.

Ce programme est totalement dans la continuité du traité de Lisbonne, du semestre européen,... Il garantit la poursuite de l’austérité.

Il accentue le caractère fédéralise de l’Union européenne, notamment dans la santé « Europe health » (Union européenne de la santé), l’économique et social, mais aussi le numérique, l’industrie, le marché européen des capitaux, l’union bancaire, la transition écologique, les domaines régaliens,... Couvrant presque tout il laisse peu de marge aux différents Etats.

C’est de fait le véritable programme de la présidentielle française, notamment de Macron et Pécresse, mais pas seulement, loin de là.

Le programme de 27 pages adopté le 10 décembre engageant les 18 mois des présidences, française, suédoise, tchèque.

I) INTRODUCTION

« Les trois présidences - la France, la République tchèque et la Suède - s’efforceront de trouver des solutions communes aux défis et tâches à venir. La crise provoquée par la pandémie de COVID-19 constitue un défi sans précédent. Le trio mettra tout en œuvre pour permettre à l’Union de surmonter le choc économique et social. Cet objectif sera atteint en mettant en œuvre le plan de relance, notamment en investissant dans les transitions écologique et numérique, en revitalisant le marché unique, en renforçant la résilience, la compétitivité et la convergence de l’UE et en assurant la coordination des politiques économiques en fonction du rythme et de la vigueur de la reprise pour renforcer l’Union européenne, y compris l’Union économique et monétaire.

C’est au nom de la « revitalisation du marché unique », de la « compétitivité », que tous les conquis sociaux sont démantelés : code du travail, protection sociale, services publics,...

Dans ce cadre, le trio est également déterminé à protéger les droits des citoyens de l’Union et à défendre les valeurs que porte celle-ci. Les priorités définies dans le programme stratégique 2019-2024 restent pleinement pertinentes. Dans le même temps, la pandémie et ses conséquences ont accentué et accéléré certains des défis auxquels l’UE doit faire face. Le trio s’efforcera dès lors de traiter l’ensemble de ces priorités et défis…

Parmi les défis qui se sont fait jour, la santé mérite une attention particulière. La pandémie actuelle a mis en évidence la nécessité d’une union européenne de la santé.

Europe health, l’union européenne de la santé

Dans le traité de Lisbonne la santé est une compétence des États. Forte de ses coupes budgétaires supprimant la recherche sur les virus, de sa brillante coordination dans la gestion du Covid ( !!!), de son refus de lever les brevets, l’Union européenne entend s’attribuer la santé sur le « modèle » du désastre des États-Unis.

Le trio juge également important de donner un nouvel élan aux relations avec les partenaires stratégiques, y compris nos partenaires transatlantiques et les puissances émergentes.

Les trois présidences œuvreront également en faveur d’une politique de sécurité et de défense commune (PSDC) plus forte et axée sur les résultats à travers l’approbation et la mise en œuvre de la boussole stratégique… »

L’objectif est de fédéraliser de plus en plus le régalien.

II) PROTÉGER LES CITOYENS ET LES LIBERTÉS

Respect et protection des valeurs communes de l’UE : démocratie, État de droit et droits fondamentaux.

Droit à l’avortement

Mme Roberta Metsola, opposée au droit à l’IVG, a été élue présidente du parlement européen par 458 voix (droite conservatrice, social-démocratie, libéraux dont LAREM) sur 703 et 690 exprimés.

C’est grave, près de 50 ans après la loi Veil, alors qu’il y a régression du droit à l’IVG dans nombre de pays du monde, aux États-Unis, et y compris en Europe ou elle est même quasi interdite en Pologne, à Malte, …Quel symbole !

Migration, Schengen, coopération policière et judiciaire

On dénonce les murs au nom des valeurs lorsqu’ils sont construits par Trump, on en construit en Europe. Et Mme Pécresse en demande encore plus ; doublant Mme Le Pen et M Zemmour, elle dénonce sur les médias l’invasion de « 40 millions de migrants » chaque année en Europe, grossière fake-news qu’elle sera contrainte d’abandonner.

III) DÉVELOPPER NOTRE BASE ÉCONOMIQUE : LE MODÈLE EUROPÉEN POUR L’AVENIR

- « Assurer une relance efficace au service d’une croissance verte et durable »
- « Renforcer le marché unique et élaborer une politique industrielle affirmée, globale et coordonnée pour stimuler la croissance et l’innovation ».
- « Accompagner la transformation numérique et en tirer pleinement parti ».
- « Approfondissement de l’Union économique et monétaire et questions relatives aux services financiers, au droit des sociétés et à la gouvernance d’entreprise…, notamment « l’achèvement de l’union bancaire et à la réalisation de progrès sur la voie d’une véritable union des marchés des capitaux ».
- Accroître l’autonomie et la compétitivité de l’UE dans le secteur spatial.
- Soutenir la recherche, l’éducation et notre jeunesse.
- Soutenir le développement des régions.
- Renforcer la protection des consommateurs.
- Mettre la culture sur le devant de la scène.
- Renforcer et promouvoir le tourisme dans l’UE.

IV) CONSTRUIRE UNE EUROPE NEUTRE POUR LE CLIMAT, ÉCOLOGIQUE, ÉQUITABLE ET SOCIALE

- Construire une Europe neutre pour le climat et écologique.
- Construire une Europe équitable et sociale… dans le cadre du semestre européen.
- Construire une Europe qui protège la santé.

V) PROMOUVOIR LES INTÉRÊTS ET LES VALEURS DE L’EUROPE DANS LE MONDE

- Défendre et promouvoir le multilatéralisme et faire face aux défis majeurs et aux crises internationales.
- Commerce… fondé sur un programme de libre-échange ambitieux et équilibré, centré sur l’OMC, et complété par un programme commercial bilatéral, tout en protégeant l’Union européenne des pratiques déloyales et abusives et en assurant la réciprocité.
- Relations avec les partenaires.
- Le voisinage de l’UE.
- Le trio mettra en œuvre une approche stratégique à l’égard des Balkans occidentaux… Afrique, Amériques (programme transatlantique commun avec les États-Unis…), Asie-Pacifique (relations avec la Chine, l’Inde).
- Connectivité.
- Développement de l’aide humanitaire.
- Sécurité et défense.

Lorsque le 19 janvier Emmanuel Macron s’adresse au Parlement européen, c’est de fait ce programme qu’il déroule, avec force références aux « valeurs » de l’Union européenne

C’est donc bien un programme complet, fédéraliste, dans un contexte où les coopérations entre Etats seraient possibles et nécessaires, mais où le fédéralisme n’est pas possible : il y a un obstacle de taille : il n’y a pas de peuple européen, et ça nourrit l’extrême-droite.

Aux États-Unis on a la même monnaie. On vote pour un(e) président(e) issu(e) de n’importe quel État. En Europe on a plusieurs monnaies, et on élit un(e) président(e) issu(e) uniquement de son propre pays, pas d’un autre pays.

Nier cette réalité ouvre un immense espace politique à la droite extrême et aux formations d’extrême droite qui montent ou sont au pouvoir partout en Europe.

Ça leur permet de s’auto-attribuer une prétendue défense de la Nation, voire de la République, qui n’est qu’un retour au nationalisme, au racisme et à l’antisémitisme, qui ont tant détruit au 20ème siècle.

L’extrême droite officiellement ralliée à l’Union européenne

L’extrême droite est au service du patronat, des multinationales et de leurs actionnaires : Zemmour a été lancé comme une savonnette par CNews, BFM,…,les Bolloré, Drahi,…

Les sondages lancés très loin de l’élection font semblant d’ignorer les non réponses, l’abstention pourtant massive lors des régionales. Il faut nous faire croire qu’il n’y a pas d’alternative à la « droitisation » et à « l’extrême droitisation » de la société française.

Pourtant, les préoccupations des Français sont surtout le salaire, le pouvoir d’achat, la protection sociale, avoir une nourriture et une planète vivables. La démagogie, le racisme et l’antisémitisme, la « sécurité », masquent que l’extrême-droite est au service d’une partie des grands patrons favorable à l’instauration d’un régime autoritaire pour faire taire l’opposition, les syndicats, les associations qui déplaisent.

Il est significatif que Le Pen et Zemmour font semblant d’augmenter les salaires, non seulement sans les augmenter (baisse des cotisations « patronales » qui sont une partie des salaires), mais en détruisant la Sécurité sociale, principal acquis encore debout des salarié-e-s, de la population.

Le patronat européen, comme le MEDEF, est attaché à l’Union européenne, à son grand marché. La contradiction avec le Front national qui s’affichait comme partisan de la sortie de l’euro, de l’Union européenne, a fini par devenir intenable. L’extrême-droite a donc abandonné son discours, qui était d’ailleurs fort ambigu, sur la sortie de l’Union européenne, de l’euro.

Pour que ça ne se voie pas trop, ils parlent maintenant de défense de la « civilisation européenne », « chrétienne », menacée de « grand remplacement ». Pure démagogie, tentative de lavage de cerveau des dirigeants de grandes multinationales qui possèdent ou influent sur tous les grands médias.

Emmanuel Macron joue le Jupiter de l’Union européenne

En France la Constitution, renforcée par la concomitance de l’élection présidentielle et des législatives, puis par l’interdiction de cumul des mandats de député et maire, lui donne énormément de pouvoir. En 2017 les député-e-s Larem ont été recruté-e-s par un processus d’embauche comme dans une entreprise.

Ce n’est pas le cas en Europe de plus en plus fédéralisée. Là c’est la Commission européenne, une législation tentaculaire, qui s’impose aux États… Et Macron, Pécresse, la social-démocratie,… veulent encore plus de fédéralisme… dont la France est victime. La désindustrialisation, le déficit de la balance commerciale, l’attestent.

Après on s’étonnera de l’abstention, qu’on tente de réduire par peur du fascisme.