Vous avez dit télétravail obligatoire ?
Par Pierre KERDRAON - Journal RESO n° 210 - Janvier 2022
Mis en ligne le 19 janvier 2022

Afin de lutter contre le coronavirus et, disons-le surtout, contre l’absentéisme dû aux cas contacts, même si ceux-ci ne ressentent aucun symptôme, la ministre du travail Elisabeth Borne a enjoint les entreprises privées comme publiques à instaurer le télétravail obligatoire au moins trois jours par semaine pour les salariés dont les postes sont compatibles avec cette organisation.

Si on peut comprendre le principe de précaution, encore faudrait-il que les salariés qu’on oblige à travailler à leur domicile aient effectivement des conditions de travail satisfaisantes, ce qui est loin d’être le cas pour tous. Une mère ou un père de famille avec des enfants en bas âge qui vit dans un logement exigu n’aura bien évidemment pas les mêmes possibilités qu’un cadre célibataire disposant d’un vaste bureau pour travailler.

De surcroît, le télétravail suppose bien souvent d’avoir des outils adaptés : micro, siège de bureau, parfois double écran… Or, si certaines entreprises mettent à la disposition de leurs salariés les outils nécessaires, dans d’autres c’est au salarié d’acheter le matériel dont il a besoin. De plus, cela induit davantage de charges (repas, électricité, chauffage…) qui sont loin d’être intégralement compensées (quand elles le sont) par les primes négociées dans le cadre d’un accord de télétravail.

En outre, beaucoup de ceux qui ont dû adopter ce nouveau mode d’organisation vous le diront : on travaille plus chez soi qu’au bureau : le temps qui n’est plus passé dans les transports est utilisé pour travailler, on fait moins attention au respect des horaires. Du coup, s’il y a moins de stress d’un côté, il y a aussi plus de fatigue de l’autre.

Je n’ai pas évoqué un autre problème non négligeable : le télétravail a tendance à rompre le cadre collectif du travail. Même si des réunions en visioconférence sont organisées, le salarié se retrouve le plus souvent seul devant sa machine ou son micro. Certains ne le supportent pas. Il est vrai que les échanges entre collègues, les repas pris en commun au self de l’entreprise contribuent à forger un esprit d’équipe qui se trouve largement réduit en période de télétravail intensif.

Autre problème qu’on rencontre notamment dans les entreprises de services : la réduction des espaces de travail au profit d’espaces partagés. Profitant de ce que tous les salariés ne sont pas au travail en même temps, certaines entreprises privées mais aussi certains services publics ont décidé de supprimer la plupart des bureaux individuels au sein de leurs sièges. Cela concerne souvent des centaines de personnes qui doivent se partager les bureaux. Si l’entreprise y gagne en mètres carrés, les salariés y perdent en espace intimiste. Cela contribue à déstabiliser une partie du personnel, employés ou cadres.

Enfin, je n’ai pas encore évoqué les conséquences pour les tiers de cette nouvelle organisation du travail. Malgré les aides gouvernementales, les services de restauration, qu’il s’agisse des restaurants traditionnels ou de la restauration collective type Sodhexo, subissent fortement le contrecoup de ce travail massif à domicile. Après deux ans de galères, combien parviendront à tenir ? Déjà, des chaînes ont dû fermer leurs portes faute de convives. Comme on le voit, on est loin de l’aspect idyllique du télétravail donné par certains médias. Si certains en ont effectivement profité pour changer de domicile et s’éloigner des centres villes polluants, il ne s’agit que d’une minorité heureuse comme c’est le cas d’une manière générale pour la mondialisation. L’évolution des techniques peut apporter des bienfaits. Encore faut-il que ceux-ci profitent au plus grand nombre.