Quelle "grande SÉCU" ?
Par Jean-Claude CHAILLEY - Journal RESO n° 209 - Décembre 2021
Mis en ligne le 14 décembre 2021

Nombre d’organisations demandent depuis des années le 100 % Sécu, le remboursement de la prévention et des soins à 100 % par la Sécurité sociale. La « Grande Sécu » promue comme ayant les faveurs d’Olivier Véran, est-ce pareil que notre 100% Sécu ?

- Il ne peut pas s’agir de « Grande Sécu », sauf si on éclate la Sécu… Et, pour nous, la Sécu c’est toutes ses branches, pas la seule branche maladie. Il faut au contraire revenir sur la réforme de la perte d’autonomie, dont la gestion est confiée à un organisme extérieur, la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie) avec financement propre, 100% fiscalisé.
- La « Grande Sécu » Véran qui fâcherait les complémentaires va mal avec l’annonce de réforme des retraites…qui est favorable aux fonds de pension, l’extension des complémentaires d’entreprise à la fonction publique.

Le débat a lieu en période préélectorale pour un éventuel projet de loi après les élections.

Olivier Véran a demandé au HCAAM, (Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie), « des scénarios de rupture entre assurance maladie et complémentaire ». Le gouvernement n’est pas obligé de tenir compte des avis.

Le HCAAM présente 4 scénarios. Il n’en recommande aucun. Tous peuvent faire l’objet d’un projet de loi et être votés.

L’orientation du gouvernement (et de LR…) : les équilibres budgétaires d’abord !

Pour la Sécu le « quoiqu’il en coute » s’est traduit par 100 milliards de déficits, de dette, en 3 ans. Depuis, le gouvernement martèle qu’il faut des « réformes structurelles » : Jean Castex, 7 décembre 2020 : « Etudier les conditions d’un retour à un équilibre durable des comptes sociaux, considérant les recettes, les dépenses, et la dette sociale… »

- Pas de recettes nouvelles, toujours plus d’exonérations de cotisations sociales, d’impôts et taxes des entreprises, et des économies. Puis il fait voter (sur proposition LR) la règle d’or ;
- Manipuler la population : « Assurer la compréhension, par l’opinion publique, …afin de garantir l’adhésion du plus grand nombre ».
- Quant à LR, FN, Zemmour, MEDEF… l’affichage « d’augmentation du salaire NET » a un double objectif : la destruction de la Sécu et la baisse du salaire BRUT.

Panier de soins, assurances complémentaires et supplémentaires

Annoncer des remboursements à 100% ne suffit pas. Tout dépend du champ de ce qu’on rembourse, qu’on appelle panier de soins. La Sécurité sociale peut rembourser à 100% tout ce qui est utile à la prévention et aux soins. C’est ce que nous demandons.

Elle peut aussi rembourser partiellement les soins, les médicaments (15%, 65%, …) et les assurances complémentaires remboursent tout ou partie du reste. Pour les médicaments non remboursés (panier de soins réduit), une assurance supplémentaire peut y pourvoir.

Le scénario 4 : « Décroisement entre les domaines d’intervention de l’assurance maladie obligatoire et des assurances complémentaires »

Il s’agit de « partager le panier de soins entre panier public et panier privé »

- La Sécurité sociale prendrait en charge un panier de soins public (réduit) à 100%.

- Les assureurs privés prendraient en charge à 100% un panier s’étendant considérablement.
- Les prix des médicaments actuellement remboursés à 15% ou 30% ou 65%, deviendraient libres, donc les tarifs des supplémentaires augmenteraient brutalement.
- C’est la « liberté » : « les assurés seraient libres de s’assurer ou non » !
- Les réseaux de soin des assureurs privés pourraient se développer. Comme toujours après avoir dérégulé il conviendrait « de conserver quelques garde fous » : les ALD (Affections de Longue Durée), le panier de soins de la CSS.

La CSS, Complémentaire Santé Solidaire. Elle remplace la CMU-C (couverture maladie universelle complémentaire) et l’ACS (aide au paiement d’une complémentaire santé)

- Le scénario 4 c’est le système des États-Unis, de la Banque mondiale, de l’Union européenne…La présence de ce scénario est une menace gravissime !

Le scénario 3 : « Une assurance complémentaire obligatoire, universelle et mutualisée »

Il s’agit de confier aux complémentaires une mission de service public au sens européen : le SIEG : « La reconnaissance de la complémentaire santé comme Service d’Intérêt Économique Général (SIEG) ».

- La possibilité de fournir le SIEG serait ouverte à tout opérateur.
- Ils pourraient également offrir librement et sans contrôle différents services non sanitaires.
- Maintien de l’obligation de l’employeur à prendre en charge au moins 50% du coût
- Pour les pauvres la CSS serait maintenue
- C’est la notion européenne de Service d’Intérêt Économique Général qui se substitue à la notion française de service public échappant à la marchandisation.
- Avec le SIEG les assurances complémentaires auraient un statut comme la Sécurité sociale (SIG). Cette dualité est instable. L’étape suivante -exigée depuis des lustres par les multinationales de l’assurance- serait d’intégrer la Sécurité sociale dans le SIEG, dans la concurrence dite libre et non faussée : C’est la mort de la Sécurité sociale d’Ambroise Croizat.

Le scénario 1 : « Améliorations dans le cadre de l’architecture actuelle »

Une proposition chère autre autres à Martin Hirsch : « Plafonner le montant annuel du RAC (Restes A Charge) grâce à un mécanisme de type bouclier sanitaire »

Prétexte de communication : il y a parfois des restes à charge insupportables. Réalité : En France, grâce aux luttes, le reste à charge moyen est le plus faible de l’Union européenne. On peut donc augmenter la moyenne tout en écrêtant. Il s’agit donc d’une augmentation des restes à charge.

Variante : des forfaits. Elle est assortie comme toujours –comme aux États-Unis– du filet de sécurité « pour les personnes modestes qui avancent en âge », « les salariés précaires », « les plus faibles rémunérations »…Quel beau projet de société !
- Solution simple : supprimer tout reste à charge.

Le scénario 2 : Extension du champ d’intervention de la sécurité sociale. C’est le seul dont parlent les médias, la « Grande Sécu ».

On ne peut qu’approuver l’intention qui va dans le bon sens :

- « Le scénario d’extension du champ d’intervention de la sécurité sociale, c’est-à-dire l’accroissement du taux de remboursement par l’AMO (Assurance Maladie Obligatoire, la Sécu) de certaines dépenses de santé, revient en quelque sorte à généraliser le dispositif des ALD (Affection de Longue Durée, prises en charge à 100% par la Sécu) à l’ensemble des patients et des prises en charge ».

- « AMO intervenant comme assureur unique pour un champ plus large des dépenses, ce qui rendrait aux ménages, sous forme d’augmentation de leur pouvoir d’achat, une fraction importante des charges de gestion des complémentaires (qui représentent 7,6 Mds € en 2019) ».

Concret : extension de « l’ANI » (complémentaires d’entreprise) à la fonction publique

Néanmoins les « contraintes » financières reviennent au grand galop :

- « La régulation devrait ainsi être renforcée dans un double objectif de maîtrise des dépenses de santé et d’accès financier aux soins » : Positif : « Suppression des tickets modérateurs » (ce qui reste à charge après remboursement de la Sécu et que la complémentaire santé peut prendre en charge en partie ou en totalité). Parfait, c’est ce qu’on demande.

Positif : « S’agissant de la participation des patients aux frais d’hospitalisation, le forfait de 24 euros, le forfait journalier hospitalier et le futur forfait de passage aux urgences de 18 euros seraient pris en charge par la sécurité sociale ».

Concret : mise en place de l’inadmissible forfait urgences le 1er janvier 2022

Négatif : « S’agissant des chambres particulières… elle pourraient toujours être remboursées par les complémentaires santé ».

Négatif et nécessaire aux équilibres financiers : « Les autres participations financières et franchises pour l’ensemble des soins…pourraient être maintenues en l’état ou bien supprimées. Le cas échéant, elles pourraient être remplacées par une franchise annuelle forfaitaire. Cette franchise constituerait une contribution des assurés au financement des dépenses »

Négatif : les dépassements d’honoraires restants pris en charge par les complémentaires.

- Communication : éviter de donner prise aux mobilisations : « Elle (cette franchise forfaitaire) présenterait néanmoins l’inconvénient d’être plus visible que les micro-franchises actuelles, et donc potentiellement davantage décriée ».

Ce qui menace l’ensemble du dispositif : le champ du panier de soins : « Évolution de la régulation des dépenses de santé et du rôle de l’assurance maladie ».

- « Le panier des soins couverts par la sécurité sociale devrait faire l’objet d’une gestion plus dynamique, concernant tant les sorties que les entrées »
- Ce panier de soins sera restrictif. Preuve : « la CSS, le dispositif (ou une partie de ce dispositif) garderait son intérêt pour l’interdiction des dépassements d’honoraires, voire pour l’accès à un panier plus large ».
- La régulation des dépenses de santé se fera en partie par le panier de soins.

Il ne couvrira pas l’ensemble des besoins sinon il n’y aurait pas besoin de garder la CSS.

Le financement : poursuite de la fiscalisation.

« L’extension des dépenses prises en charge par l’AMO implique d’augmenter à due proportion ses recettes ». Ce sera la CSG, la TVA, les impôts et taxes payées par les ménages et non par les cotisations sociales, alors que les exonérations de cotisations dites « patronales » sont astronomiques l
- Problème : Macron prend « en même temps » des mesures structurelles contradictoires à ce qui apparaît comme positif.

Une réforme peut en cacher une autre !

Le HCAAM évoque une réforme globale du financement de la Sécurité sociale, (d’ailleurs en cours, vers l’étatisation –destruction de la Sécurité sociale, ouvrant la voie aux multinationales de l’assurance).

NOS PROPOSITIONS :

La Sécurité sociale d’Ambroise Croizat, c’est chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.

C’est l’unité et l’unicité de la Sécurité sociale, le maintien de son monopole, l’universalité, la démocratie sociale, le financement par la cotisation sociale.

La « rupture » ce serait une Sécurité sociale du 21ème siècle, dans le cadre de ces fondamentaux, au lieu de l’éternelle mise en déficit suivie de réformes pour revenir aux équilibres budgétaires, rembourser la dette, dans le but d’achever la Sécu.

Le débat électoral c’est bien, mais dans l’immédiat nous dénonçons le PLFSS 2022

- Qui garantit la poursuite de la crise sanitaire et de la maltraitance institutionnelle dans les EHPAD comme à domicile.
- Qui ne revalorise les retraites que de 1,1% alors qu’il faudrait immédiatement au moins 100 € de rattrapage. Nous nous opposons à la nouvelle réforme des retraites.
- La dette d’État ne sera jamais remboursée. Si la dette sociale ne l’était pas non plus, 18 milliards seraient immédiatement disponibles.

Il y des propositions pour toutes les branches sinon ce n’est plus la Sécu. En ce qui concerne la branche santé de la Sécu, le 100% Sécu que nous voulons, c’est le remboursement de la prévention et des soins à 100% par la Sécu.

Le panier de soins c’est TOUT ce qui est utile à la prévention et aux soins. Le 100% Sécu implique la suppression des franchises, des dépassements d’honoraires, des restes à charge,…En conséquence il n’y a plus besoin de conserver la CSS (ex CMU-C, ACS) pour « plus démunis » comme dans les 4 scénarios.

Quelques réactions : L’Humanité, 24 novembre :

CGT : Catherine Perret : « La CGT propose un projet global de Sécurité sociale intégrale financé par les cotisations sociales, elles-mêmes assises sur les salaires qui rétribuent la force de travail… La CGT combat l’étatisation de la Sécurité sociale, matérialisée notamment par le remplacement des cotisations par l’impôt, particulièrement avec la contribution sociale généralisée (CSG). C’est d’ailleurs toujours l’objectif d’Olivier Véran à travers son soutien à «  une grande Sécu …

CFDT : Jocelyne Cabanal : « … Par ailleurs, accéder à une bonne santé, …relèvent désormais de droits universels. Leur financement relève de la CSG…L’État n’a pas seul le monopole de la construction de l’intérêt général… il faut concevoir, dans une logique de coopération, l’articulation entre Sécurité sociale et protection sociale complémentaire… C’est pourquoi, enfin, le projet d’un 100% Sécu santé, qui fait table rase des acteurs et d’une construction collective, nous paraît une illusion dangereuse pour les usagers ».

PCF : Frédéric Boccara : « La «  grande Sécu  » préconisée par Olivier Véran sent l’entourloupe. Elle met au cœur de l’assurance-maladie son financement, mais sans le dire… C’est donc un panier de soins limité. Mais c’est aussi, semble-t-il, booster un secteur de praticiens et d’établissements, à côté du secteur remboursé, où les tarifs seraient non seulement libres, mais aussi non remboursés. Sauf à prendre une assurance privée, devenue alors «  supplémentaire  ». Rien d’universel donc  ! …. Pour assurer ce financement, (des 22 Md remboursés par les complémentaires) c’est la CSG, voire la TVA qui sont envisagées  ! Toujours par les ménages, donc, et nouvelle éviction des cotisations sociales  !

PCF : Frédéric Boccara : « La «  grande Sécu  » préconisée par Olivier Véran sent l’entourloupe. Elle met au cœur de l’assurance-maladie son financement, mais sans le dire… C’est donc un panier de soins limité. Mais c’est aussi, semble-t-il, booster un secteur de praticiens et d’établissements, à côté du secteur remboursé, où les tarifs seraient non seulement libres, mais aussi non remboursés. Sauf à prendre une assurance privée, devenue alors «  supplémentaire  ». Rien d’universel donc  ! …. Pour assurer ce financement, (des 22 Md remboursés par les complémentaires) c’est la CSG, voire la TVA qui sont envisagées  ! Toujours par les ménages, donc, et nouvelle éviction des cotisations sociales  !