Bravo l’artiste mais pas merci !
Par Flora MICHEL - Journal RESO n° 206 - Septembre 2021
Mis en ligne le 29 septembre 2021

Il pleuvait (pleurait ?) sur Marseille lorsque le Président Macron, en précampagne électorale, y a annoncé les mesures qu’il entend prendre pour remédier à la déréliction des écoles dans certains quartiers : le financement de travaux de rénovation par l’Etat, sans en préciser l’enveloppe (quand c’est flou, il y a un loup) ; et une expérimentation gérée par les collectivités territoriales, dans 50 écoles « laboratoires de liberté et de moyens », de la liberté pour les directeurs d’école de choisir directement dès la rentrée 2022 « leurs » enseignants et de leur associer des acteurs extrascolaires. Le Président voit dans ce projet la préfiguration d’une « école du futur ». Est-ce ce que demandaient les directeurs d’école, primi inter pares sans autorité hiérarchique qui bénéficient d’une décharge le plus souvent partielle pour des tâches annexes à leur cœur de métier : car ils restent des enseignants, en aucun cas des principaux au petit pied.

Non. Ce qu’ils demandent, c’est des moyens et des locaux réhabilités sans contrepartie ; c’est une aide administrative, c’est-à-dire un personnel administratif qui puisse les assister dans les tâches de secrétariat et de relations publiques et les aide à répondre aux sollicitations de plus en plus nombreuses de l’administration de l’Education Nationale (enquêtes statistiques, organisation des évaluations et communication de leurs résultats…).

Leur rayon, c’est la pédagogie et ils n’ont pas envie d’y ajouter la responsabilité du recrutement, sans copinage ni clientélisme ! d’une équipe soumise à leur autorité. Cela, c’est le rayon de l’inspecteur d’académie qui gère le « mouvement » et qui bientôt leur demandera de fournir les fiches de « postes à profil », à moins que ce ne soit la commission territoriale créée ad hoc ?

Plutôt que leur donner ce qu’ils demandent, on leur octroie ce qu’ils n’ont pas revendiqué mais qui va dans le sens d’une atomisation et d’une dérégulation du service public. « L’innovation » prônée par le Président ne repose plus sur l’élaboration collective d’un projet pour la réussite scolaire, mais sur le projet, demandé par son ministre pour la mi-octobre, d’un seul manager qui constitue son équipe. On ne peut être plus éloigné de la culture du milieu enseignant. L’idée n’est d’ailleurs pas nouvelle : elle figurait dans le projet 2013 d’une « droite forte » et en 2016 dans L’école de demain d’un certain Jean-Michel Blanquer.

Remarquez, c’est en cohérence avec le « recentrage » (c’est-à-dire la restriction) du champ de compétences des commissions administratives paritaires dans la Fonction Publique, qui assuraient à large échelle dialogue et concertation entre administration et syndicats des personnels et qui n’auront plus à être consultées sur les questions de mobilité, d’avancement et de promotion interne (loi du 6 août 2019 et décrets du 20 novembre et du 9 décembre 2020) : un sacré coup de canif dans le statut de la Fonction Publique de 1983 passé presque inaperçu des médias. A défaut d’innover, on casse le contrôle paritaire sur le « mouvement ». Ce n’est pas la première fois que le projet affiché des « réformes » dissimule un projet caché, qui avance par petites touches. Innovation, tu parles. Bravo, l’artiste, mais pas merci.