Politique régionale de transport ferroviaire : l’impasse de la concurrence
Par Hugo PROD’HOMME
Mis en ligne le 23 juillet 2021
Le transport ferroviaire, comme tout ce qu’on appelle les industries de réseaux (télécommunications, transports, énergie…), est tancé par l’Union Européenne depuis les années 1980 pour son manque de concurrence. Il faudrait que les « consommateurs » (ces gens-là ne comprennent pas la notion d’« usager » d’un service public) puissent choisir parmi plusieurs offres de transport ferroviaire et choisir celui qui donne un rapport qualité/prix le plus attractif. Ainsi, les entreprises seraient encouragées à améliorer la qualité ou baisser le prix

C’est là l’essentiel du dogme néo-libéral qui inspire tant de politiques européennes que les États-nations adoptent sans broncher. C’est la compétition qui permet au marché de bien fonctionner, et surtout pas la coopération, surtout pas la mise en commun ou l’aide de l’État ! C’est ainsi que la direction de la concurrence a pris tant d’ampleur au sein de la Commission européenne, et que de nombreux fleurons nationaux réfléchissent leur stratégie en fonction de ce que la Commission peut accepter. Voilà pourquoi les dirigeants des grandes entreprises européennes préfèrent fusionner avec les entreprises états-uniennes ou asiatiques : si elles fusionnent entre européens, la Commission européenne (comme pour l’alliance Alstom-Siemens) risque de poser son veto ! Pas de champions européens à l’horizon avec cette politique, seulement une fuite vers l’extérieur de nos cerveaux, de nos innovations, et de nos emplois !

Dans le domaine ferroviaire, la concurrence se heurte à un os : on ne peut physiquement pas avoir une dizaine d’entreprises qui se fassent concurrence sur le Lille-Amiens de 7h ! Alors, avec la réforme de 2018, on a imaginé un système d’enchères, où des entreprises répondraient à des appels d’offre pour chaque ligne de train régional. Pour les grandes lignes de TGV, on donnerait aux entreprises volontaires des créneaux pour concurrencer le SNCF. Pour les lignes TER, on donnerait aux Régions (qui payaient déjà le renouvellement des flottes) la possibilité de mettre en concurrence des lignes, les salariés de la SNCF perdraient leur statut et pourraient être transférables d’une entreprise à l’autre. Et on laisserait n’importe quelle entreprise gérer telle ou telle ligne. C’est ce que se sont empressés de faire certains présidents de Région depuis un an, et notamment Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France.

Deux problèmes se posent.

D’abord, ce mécanisme d’enchères sur des lignes spécifiques va à l’encontre de ce que la SNCF a toujours réussi à faire : la solidarité entre les lignes. En effet, cela ne surprend personne, mais il y a des lignes rentables, et d’autres pas. Tant que c’est la SNCF qui les gère toutes, elle peut plus ou moins compenser les pertes par les gains. Avec une ouverture à la concurrence, la seule conséquence possible est que des opérateurs privés (ou étrangers) enchérissent à qui mieux mieux sur les lignes les plus rentables en les proposant à un coût plus faible que la SNCF. Par contre, personne ne viendra concurrencer la SNCF sur les lignes non rentables qu’elle sera obligée, légalement, de continuer à gérer. La SNCF devra soit baisser ses marges sur les lignes rentables soit perdre ces lignes, et continuer à gérer les lignes qui perdent de l’argent. Les conséquences, quand un service public est dit « trop coûteux », on les connaît : restructuration, privatisation, et abandon des services publics de proximité. Edouard Philippe avait beau dire durant le débat parlementaire que les petites lignes de proximité ne fermeraient pas, il ne fait qu’organiser leur mise au pilori. Dans dix ans, les mêmes énarques bien-pensant nous diront « les finances publiques sont au plus bas, nous devons couper dans les dépenses inutiles ». Et on pourra dire adieu à nos transports de proximité.

Deuxième problème : personne ne vient concurrencer la SNCF ! Depuis le début de la mise en concurrence à différentes échelles (TER, TGV, intercités etc.), la mise en concurrence est un échec ! Les Régions et le ministère des transports ont créé des mastodontes bureaucratiques pour gérer les appels d’offre, ont mis les cheminots dans la rue des semaines durant, ont cassé l’idée de service public, tout cela pour quoi ? Rien du tout. La SNCF fait globalement plutôt bien son travail et les opérateurs privés (ou étrangers) ne trouvent pour l’instant aucun intérêt à essayer de lui prendre ses parts de marché. L’idée reçue de des opérateurs privés qui seraient forcément plus efficaces et moins chers que l’opérateur historique n’est que cela : une idée reçue ! Un dogme qui régit nos politiques publiques, qui démantèle notre État, nos politiques publiques et nos fleurons industriels, alors même que nous subissons chaque jour les assauts de la mondialisation.

Alors arrêtons les frais, stoppons ces idées idiotes de concurrence et réfléchissons plutôt aux solutions réelles pour augmenter le trafic ferroviaire (des personnes et des marchandises, le fret, actuellement en concurrence, étant rachitique) et permettre aux Français de continuer à être les plus grands passagers d’Europe (sans concurrence) !