Retraite à points : faux compromis et vraie régression
Article de Jean-Claude CHAILLEY publié dans le n° 188 du journale Résistance Sociale (janvier 2020)
Mis en ligne le 23 janvier 2020

A/ Le faux compromis Emmanuel Macron - Edouard Philippe- Geoffroy Roux de Bézieux

► Le gouvernement, les grands médias, nous assènent que le retrait de l’âge pivot du projet de loi est un « compromis » raisonnable.

Pourtant les objectifs de la réforme à points : coupes budgétaires, baisse du « cout du travail », baisse des pensions –déjà en cours pour les retraité-e-s -, âge de la pension repoussé sans cesse, cumul emploi –retraite, capitalisation,… restent inchangés.

- Ceux qui s’opposent à la réforme, notamment les syndicats CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, sont qualifiés « d’extrémistes », comme « M Martinez, M Mélenchon, M Roussel,… »…et 2/3 des Français, notamment les salarié-e-s !

► Pour les lecteurs – ou leurs collègues, leurs connaissances - qui penseraient que parler de destruction de notre modèle social est une exagération :

o Mme Buzyn : « la réforme des retraites, ce n’est pas un problème technique, c’est un projet de société ».

o Le projet se prononce pour « la construction de la protection sociale du XXIème siècle », l’exact opposé de la Sécurité sociale d’Ambroise Croizat.

Tous ceux qui sont attachés à la Sécurité sociale, à ce qui reste du modèle social issu du Conseil National de la Résistance, doivent rejeter ce faux compromis, comme l’ensemble du projet de réforme à points. A fortiori celles et ceux – et ils sont majoritaires - qui veulent des réformes de progrès social.

Edouard Philippe, n’a pas proposé un compromis mais une mise en œuvre par anticipation de la réforme – aggravée -

- Maintien de la réforme à points

Le « compromis » commence par le maintien de la réforme ! C’est donc une fin de non-recevoir pour ceux qui s’y opposent.

- La réforme n’a nul besoin d’un paramètre âge pivot figé à 64 ans dans la loi

Dans les autres pays il n’existe pas, mais on va vers 67 – 70 ans.

- Remplacer l’âge pivot précisé à 64 ans par un « âge d’équilibre », c’est PIRE !

Modifier un « âge d’équilibre » non précisé dans la loi pourra se faire beaucoup plus discrètement. Le caractère de « réforme ultime » est accentué.

- Le mépris incommensurable du Parlement

Sous la Vème République le Parlement a peu de pouvoir. On a déjà vu des députés « godillots », mais à ce degré jamais. Avec Jupiter on retourne à l’Ancien régime.

- On s’étonne que les député-e-s, quelle que soit leur opinion sur le projet, puissent accepter d’être méprisés au point de discuter d’un texte dont les éléments structurants comme le financement et l’âge d’équilibre sont absents…jusqu’à 2ème lecture. Peut-être n’ont-ils pas le droit de grève ( ?)

- Conférence de financement… Les syndicats dans la NASSE

Ils ont interdiction de débattre de l’augmentation du « coût du travail », au moins jusqu’à 2027 ( !). Or, c’est le seul moyen positif pour les salariés et les retraités d’atteindre « l’équilibre financier » … compensant un « déficit » par ailleurs inexistant.

- Rappel : jusqu’à l’instauration de la CSG par Michel Rocard en 1991, les cotisations sociales étaient pratiquement l’unique source de financement de la Sécu.

- Leur « compromis » c’est l’application par anticipation, avant tout vote, de la « gouvernance » que nous allons examiner ci-dessous.

- Le revolver sur la tempe des syndicats participant à la conférence de financement :

Si Macron / Roux de Bézieux ne sont pas satisfaits : « des ordonnances » !

Où est le « compromis » Macron – Philippe ?

B/ Quelques aspects structurants du projet de loi

Catherine Perret (secrétaire confédérale CGT) « c’est un big-bang. L’objectif c’est une chute sans fin des pensions qui représentent 14 points de PIB en France, les exigences de l’Union européenne étant de 11 % »

- Il n’y a qu’une chose « d’universelle » dans la réforme, c’est la régression.
- Le « régime universel de retraite se substitue ainsi aux 42 régimes de retraite actuels (régimes de base et régimes complémentaires obligatoires) », privé comme public, régimes spéciaux, ...)
- La réforme est indispensable pour généraliser la flexibilité », la mobilité, à vie.

Les lois El Khomri, les ordonnances Pénicaud, la réforme de la SNCF, la loi Ma santé 2022, la loi de transformation de la fonction publique, les réformes Blanquer, l’auto-entrepreneuriat, l’ubérisation, … vont vers la disparition de toute carrière professionnelle pour baisser le « coût du travail » (privé), les « dépenses publiques » (services publics).

L’extension de la flexibilité est incompatible avec les régimes de retraite actuels.

- Le seul moyen c’est d’attribuer des points à chaque activité aussi éphémère soit-elle.
- Comme toujours la flexibilité, la précarité, pénalisent particulièrement les femmes, en outre victimes de nombre de mesures du projet de loi (droits familiaux, réversion,…).
- La honteuse « clause du grand père » est maintenue.
- Pour les jeunes la réforme commencerait dès 2022.
- Forte incitation au cumul emploi – retraite.

Une fois à la retraite il faudra trouver des petits boulots pour boucler les fins de mois.

Le pilotage financier – l’étatisation / destruction de la Sécurité sociale

La Sécurité sociale d’Ambroise Croizat c’est « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ».

La COTISATION SOCIALE c’est des DROITS car c’est le SALAIRE socialisé. En conséquence, les représentants syndicaux des salariés avaient 75 % des voix dans les CA.

La réforme à points c’est l’inverse. La poursuite de la fiscalisation, l’étatisation de la Sécurité sociale et de toute la protection sociale, sont le passage du DROIT à l’ASSISTANCE.

Cette réforme s’inscrit dans le projet de la Banque mondiale de 1994 (voir ci-dessous)

Le processus de pilotage

1) Nomination d’un « comité d’experts indépendants » cadrés par la règle d’or…

Ces « experts » sont trop forts : « ils feront des prévisions à 40 ans » donc jusqu’en 2060.

Plus concrètement une « règle d’or » imposera l’équilibre du système sur la première période de cinq ans »et sera complétée par un « rapport annuel ».

- Lorsqu’on nomme des « experts »…on sait d’avance ce qu’ils proposeront.

2) Le gouvernement et le parlement décident, c’est l’étatisation de la protection sociale…

3) …et la Caisse nationale de retraite universelle exécute

« Elle assurera le pilotage du système universel. Elle sera administrée par un conseil d’administration paritaire composé des organisations syndicales représentatives et des organisations professionnelles représentatives représentant également les travailleurs indépendants, les professions libérales et les employeurs publics ».

Les moyens pour respecter la « trajectoire financière » (concoctant au besoin comme actuellement un « déficit » par « mensonge d’Etat « (Henri Sterdyniak) :

« Modalités d’indexation des retraites, évolution de l’âge de référence, revalorisation des valeurs d’achat et de service du point, taux de cotisation et le cas échéant, produits financiers des réserves ». « La valeur du point sera fixée chaque année ». Quel programme !

- La promesse de revaloriser les retraites de l’inflation est sans valeur puisqu’elle est annihilée par l’article 11 : « Le conseil d’administration de la Caisse nationale de la retraite universelle pourra toutefois prévoir un autre taux de revalorisation pour garantir le respect de la trajectoire financière pluriannuelle ».

Le gouvernement dit : pas de baisse des pensions des 17 millions de retraité-e-s. Mais le taux de revalorisation des retraites peut être de 0 chaque année !

En outre de multiples ordonnances sont prévues si le projet de loi était voté.

- Il en va de même de toutes les promesses.]] En conséquence, les syndicats sont appelés à proposer un arbitrage entre les régressions, à prendre la responsabilité d’opposer actifs et retraités : report de l’âge d’équilibre ou baisse des pensions, il leur faudrait choisir.

- La manœuvre est claire : faire retomber l’impopularité des mesures sur les syndicats, y compris ceux qualifiés de « réformistes ».

- LE PILOTAGE c’est le CŒUR DE LA REFORME.

- Au lieu de garantir des PRESTATIONS DEFINIES : un âge de départ en retraite (62 ans ou 60 ans par exemple), un montant de pension (75 % du salaire des 6 derniers mois, calcul sur le salaire des 25 ou 10 meilleures années, …) et de dégager les ressources financières nécessaires, on fait l’inverse.

On SAIT CE QU’ON COTISE et on aura ce qu’on voudra bien nous octroyer. A chacun la « liberté » de prendre sa retraite quand il peut – s’il n’est pas viré bien avant -.

- Les ressources pourront baisser en fonction de la crise, de la « compétitivité », de la baisse du « coût du travail », de la guerre commerciale États-Unis – Chine, des objectifs de dividendes,… Il reste à décider de combien les pensions doivent être baissées, de combien l’âge d’équilibre doit être repoussé.

Toujours plus d’exonérations de cotisations sociales dites « patronales » remplacées par nos impôts et taxes.

- « Des sources de financement seront recherchées au-delà des cotisations sociales, par la mobilisation d’impositions de toutes natures… ». Donc on aurait droit à l’augmentation de la CSG, des impôts et taxes sous tous les prétextes, en lieu et place de la part dite patronale des cotisations (notre salaire). Double peine !

La Solidarité (logiquement) sortie du régime à points (budget 80 – 90 milliards).

- Il s’agit des interruptions d’activité : maladie, maternité, accidents du travail, chômage, handicap,… et de la pension de réversion.

- La Sécurité sociale a la solidarité dans ses gènes. Elle n’a pas lieu d’être dans la réforme à points : pas de travail, pas de point dans son compte personnel.

- Donc la solidarité sera remplacée par de l’assistance « qui coûte un pognon de dingue », financée par des impôts et taxes « de toutes natures », et destinée à être rabotée sans fin. En Suède la réversion (36 milliards) a disparu.

- Rappel : il y a déjà 70 milliards d’exonérations et exemptions de cotisations sociales.

La capitalisation (épargne retraite en langage « politiquement correct »)

- Le très faible taux de capitalisation en France est jugé une anomalie par les cercles financiers du monde entier. L’Union européenne et la loi Pacte encouragent la capitalisation. Le plafonnement des cotisations des cadres gagnant plus de 10 000 euros par mois les pousse à capitaliser et entraîne une perte de 4,5 milliards pour la Sécu.

La pénibilité, la souffrance au travail

- La souffrance au travail – coût estimé à 60 Md – n’est même pas évoquée.
- Quant à la pénibilité, les négociations se multiplient pour limiter les reculs. Si les secteurs régaliens semblent sauver l’âge, ils ne sauvent pas la baisse de la pension, qui elle est universelle. Exemple : les hospitaliers (majoritairement des hospitalières) sortent de la catégorie « active ». Résultat : + 7 ans de travail !

C/ Une réforme systémique de la Sécurité sociale, de la protection sociale.

L’aveu de leur volonté de détruire la Sécurité sociale

E Macron « il faut mettre la protection sociale au service des entreprises » « Le progrès social, c’est celui qu’on se paie soi-même ». • A Buzyn : « Un système de santé à bout de souffle, pensé à la sortie de la 2ème guerre mondiale… Nous sommes arrivés au bout. Construire autrement notre protection sociale »… vers un « nouveau filet de Sécurité sociale » pour pauvres. • MEDEF : « la Sécurité sociale de 45 n’est plus soutenable »

La Sécu remplacée par le projet Banque mondiale, UE, gouvernements, MEDEF

La réforme à points n’est pas franco-française, elle s’inscrit dans le projet néolibéral mondial de protection sociale.

1er pilier : vers un socle, un filet de sécurité pour pauvres.

2016 PUMa (Protection Universelle Maladie) : elle coupe l’affiliation à la Sécu de la cotisation. La cotisation disparaît de maladie - famille • Réforme à points : C’est une réforme Juppé 2 d’extension du contrôle du gouvernement et du Parlement sur l’ensemble des retraites (330 milliards).

Les dispositifs de solidarité (80 milliards) seraient transformés en assistance totalement fiscalisée. De nouvelles exonérations de cotisations sociales « patronales » se profilent.

2ème pilier : les complémentaires d’entreprise

• (ex « ANI », loi Sapin de « Sécurisation de l’emploi »)

3ème pilier : Et surtout les complémentaires individuelles dans la santé, les fonds de pension, dont les fonds de pension « européens »nouvellement créés.

- C’est le système… dont les américains ne veulent plus !

RETRAIT DE LA REFORME A POINTS puis réformes de RECONQUÊTES !