Réforme à points des retraites
Article de Jean-Claude CHAILLEY publié dans le n° 184 du journal RESO (septembre 2019)
Mis en ligne le 1er octobre 2019

Pourquoi Macron prend le risque de cette « ultime » réforme ?

A Buzyn : « ce n’est pas un problème technique, c’est un projet de société… ».

Depuis la réforme Séguin - Balladur les pensions ont déjà perdu 25 / 30 %, l’âge moyen de départ à la retraite est déjà de 63,4 ans hors dispositifs de départs anticipés.

Donc si Emmanuel Macron prend le risque d’un conflit social majeur (risque devant lequel Nicolas Sarkozy avait renoncé) alors qu’il pourrait poursuivre, c’est qu’il y a des raisons plus profondes.

L’enjeu, ils le disent eux-mêmes :

► C’est un changement de société, le néolibéralisme pur et dur contre les droits sociaux, contre la solidarité, contre la réduction des inégalités. Un recul historique.

► Pour eux, c’est la réforme « ultime » car elle donne tous les pouvoirs aux gouvernements.

La réforme des retraites est indispensable pour achever tout statut, tout droit du travail, pour instaurer la FLEXIBILITÉ, la MOBILITÉ, à vie.

La flexibilité c’est la politique de l’Union européenne, de Macron, du MEDEF. C’est pourquoi les réformes à points sont poussées dans toute l’Union européenne

Pour eux, l’avenir c’est la FLEXIBILITÉ, la MOBILITÉ, c’est aller « d’activité » en « activité » : chômage, puis statut d’autoentrepreneur, ubérisé ou non, puis peut-être une mission dans ce qui ne sera plus la fonction publique, puis un temps dans le privé, puis…

Rapport Delevoye :

« Les différences de règles entre régimes… peuvent freiner les mobilités professionnelles ». « Toutes les ACTIVITÉS seront donc prises en compte… quelle que soit la rémunération, même faible, qu’elles procurent ».

« La notion même de carrière disparaît » Lettre MonFinancier.com

Pour achever la destruction des statuts, du droit du travail, il faut détruire au préalable tous les régimes de retraite des salarié-e-s privé, public, régimes spéciaux, car les 6 derniers mois, les 25 meilleures années ,… sont incompatibles avec la flexibilité à vie.

Les femmes continueraient à avoir des salaires moindres que les hommes, à subir la précarité dans les décennies à venir. Selon Delevoye ça les « avantagerait » ( !!!) Les 42 régimes de retraite doivent disparaître, toutes les caisses de retraite doivent fusionner : CNAVTS – régime général du privé - , AGIRC-ARRCO, CNRACL, IRCANTEC, FONCTION PUBLIQUE, RÉGIMES SPECIAUX,…)

Individualisme de la réforme à points contre Sécurité sociale solidaire.

La Sécurité sociale, les différents régimes de retraite c’est des DROITS :

• Droit de partir à la retraite à un âge déterminé, par exemple à 62 ans (ou 60 ans)

• Droit de savoir quel sera le montant de la pension, par exemple 75 % du dernier salaire

C’est aux différentes caisses de retraite ou à l’État (fonction publique) de trouver les ressources pour respecter ces droits. C’est ce qu’on appelle un régime à prestations définies.

Avec la réforme à points, c’est l’inverse : on sait ce qu’on cotise, on ne sait pas quel montant de pension on aura, ni jusqu’à quand il faudra travailler pour avoir une chance de boucler le mois. C’est ce qu’on appelle un régime à cotisations définies.

Quant aux 17 millions de retraité-e-s on pourra baisser leurs pensions à tout moment.

La réforme à points c’est l’INCERTITUDE TOUTE SA VIE

► La Sécurité sociale c’est la solidarité pour un budget de plusieurs dizaines de milliards qui réduit considérablement les inégalités, notamment pour les retraites.

► La retraite à points Macron / Union européenne : « 1 euro cotisé donne les mêmes droits… » c’est l’individualisme : aucune place pour la solidarité dans ce principe.

► La retraite à points, disent-ils, « c’est l’équité ». L’équité sonne comme égalité mais c’est l’opposé, c’est la concurrence, le chacun pour soi, les « 1ers de cordée ».

► Lorsqu’on ne travaille pas (maladie, accident, chômage, grossesse, handicap,…) on ne devrait pas avoir de points. A fortiori il ne devrait pas y avoir de pension de réversion. Impensable politiquement. Il y aura donc des dérogations, des points comptabilisés à part et financés à part par l’impôt et non la cotisation. C’est la poursuite de la fiscalisation – étatisation de la Sécu de Juppé.

Contrairement à ce qu’ils affirment ; ce ne sera PAS un régime « UNIVERSEL ».

Il y a des dizaines de dérogations :

Un financement variable. Il n’y a que pour les salariés qu’il y aura 40 % de cotisations (part dite « patronale » et part dite « salariale », toutes 2 une partie du salaire).

Des raisons politiques (journalistes) ;

► Des professions, notamment régaliennes ; pompiers, militaires, policiers. Ça prouve que s’il y a différents régimes c’est qu’il y a des raisons.

► Mais alors pourquoi ils s’attaquent aux régimes spéciaux, à la fonction publique ?

Contrairement à la propagande visant à opposer tout le monde contre tout le monde les pensions des différents régimes sont à peu près équivalentes à qualification égale.

Mais s’il y avait des inégalités, il faudrait harmoniser par le haut et non par le bas.

La retraite à points c’est la baisse permanente des pensions.

Dans les années et décennies à venir le nombre de retraité-e-s devrait augmenter. Il faudrait augmenter les cotisations. Or, le rapport Delevoye exige le plafonnement du budget à 13,8 % du PIB ainsi que le plafonnement des cotisations. Donc chaque retraite baissera.

La réforme à points permet de BAISSER les pensions à tout moment En Suède – leur modèle - elles ont baissé de 9 % en 3 ans et ça continue

La retraite à points, comment ça marche :

- Valeur d’achat du point : pour un salaire de 1200 € si la valeur d’achat du point est de 10 € on aura 120 points. Ces points se cumuleront sur toute la vie active.

- Valeur de service du point : si on est retraité avec 12000 points et que la valeur de service du point est de 0,5 € on aura une pension de 12000 x 0,5 = 600 €

Donc 2 moyens pour faire baisser les pensions :

- Augmenter la valeur d’achat du point : au lieu de 10 € on peut le faire passer par exemple à 12 €. Au lieu de 12 000 points on n’aura plus que 10 000 points.

- Diminuer la valeur de service du point : au lieu de 0,5 € on peut la passer à 0,4 €.

- Résultat 10 000 points à 0,4 € = une pension de 400 € au lieu de 600 €, baisse de 33 %.

La pension est calculée sur toute la vie professionnelle, dont les périodes à petit salaire.

Réforme « ultime » car réforme anti mobilisations : si on joue un peu chaque année sur la valeur d’achat et la valeur de service, c’est une érosion continue qui mobilise beaucoup moins qu’une réforme brutale comme en 1995, 2003, 2010.

Plus d’âge pour prendre sa retraite.

• Il y aura un âge minimum (62 ans pour l’instant) et c’est tout. Il n’y aura plus d’âge de la retraite, uniquement des décisions dites « individuelles », mais imposées par la baisse des pensions.

• Une fois à la retraite… on continue avec le cumul emploi retraite pour boucler le mois.

PAS DE CAPITALISATION (*) ? Intox, c’est le but de la réforme !

La baisse des pensions incite ceux qui peuvent à prendre des fonds de pension, ainsi que la loi Pacte. L’Union européenne crée des fonds de pension européens.

Le rapport Delevoye bloque l’acquisition de points des cadres au-delà de 10000 € / mois (chiffre qui baissera), les incitant à prendre des fonds de pension.

Faux débats pour masquer les vrais enjeux :

► De multiples débats et « concertations » sont lancés sur les conséquences de la réforme, qui serait supposée gagnante, qui serait supposée perdante,… pour ne pas discuter de ce qui est « non négociable » : les POINTS !

► C’est une minable tentative de division et une volonté d’engluer les « partenaires sociaux » dans une « concertation » …jusqu’à ce que la procédure accélérée soit enclenchée au Parlement avec vote final… en juillet 2020.

Vrai mensonge : les 17 millions de retraité-e-s ne seraient pas concerné-e-s ! Les retraités sont directement concernés car le budget retraites de 325 milliards est déjà jugé trop élevé.

Avant le démarrage de la réforme (1er janvier 2025) il faut couper 10 – 15 milliards au nom de la « règle d’or », y compris de nouveau en 2020.

Toutes les caisses de retraite disparaîtront.

La valeur du point pourra baisser à tout moment pour ceux qui sont à la retraite.

La réversion aussi (budget 36 milliards, presque nul en Suède)

Voici le cœur de la réforme, la « gouvernance innovante »

La « gouvernance innovante » donne tous les pouvoirs aux gouvernements dans le cadre des « semestres » et conseils européens, de la « règle d’or ». Le gouvernement pourra revenir sur toutes les promesses faites avant le vote de la réforme.

Le pilotage, comment ça marche :

Ce pilotage sera cadré budgétairement par le gouvernement, dans le cadre du semestre européen qui coordonne les budgets et réformes des différents États :

« Tous les 5 ans, des projections sur un horizon de 40 ans… »( !!!).

« dans le cadre des lois financières, le Gouvernement pourra présenter au Parlement les modifications ayant trait aux conditions d’ouverture des droits (âge légal, dispositifs de départs anticipés) ainsi qu’aux dispositifs de solidarité (périodes assimilées, droits familiaux, minimum de retraite, etc.) ». Donc on remet TOUT en cause.

« Enfin, le Gouvernement, en ce qu’il détermine et conduit la politique de la Nation, sera toujours libre de proposer tout projet de réforme ayant des incidences sur les équilibres financiers du système de retraite ».

« Un pilotage dans le respect d’une règle d’or ». Impossible de faire pire comme réforme.

Ils se donnent tous les outils pour raboter tous nos droits n’importe quand :

Le montant des pensions, l’âge légal de départ à la retraite, la pénibilité, les dispositifs de solidarité, le minimum vieillesse, la réversion, … dépendront des « prévisions » à 40 ans « d’experts indépendants », des décisions des conseils européens, des « marchés »...

TOUT ce qu’on nous raconte dans les « concertations » pourra être rayé à tout moment.

Nouveau rôle des syndicats : exercer « la gestion opérationnelle ». C’est l’opposé de la Sécurité sociale d’Ambroise Croizat :

Les syndicats devront prendre la responsabilité devant les salariés et retraités de baisser les pensions, ou d’obliger à travailler plus longtemps … :

Dans le cadre de la trajectoire définie par le Parlement et le Gouvernement « les syndicats devront … se prononcer sur la revalorisation des retraites, la détermination de la valeur du point, la détermination de l’âge du taux plein par génération, la proposition des taux de cotisations, l’utilisation des réserves financières ». Encore pire que la cogestion, Inacceptable !

La manipulation de quelques citoyens n’a rien à voir avec la démocratie. Création d’un Conseil citoyen des retraites de 30 citoyens, sans pouvoir, face aux « experts » :

« Les préconisations pourront être travaillées avec le comité d’expertise qui indiquera aux citoyens les conditions de faisabilité de leurs propositions, ou validera avec eux les hypothèses de travail ».

Pillage des réserves des régimes de retraite.

Les différents régimes ont des réserves, comme par exemple l’Agirc-Arrco qui a 60 milliards de réserves. Elles seront absorbées autoritairement.

COMMENT LUTTER VICTORIEUSEMENT ?

« Négociation ? Mettez le rapport Delevoye à la poubelle », Philippe Martinez CGT, FO, FSU, Solidaires,… ont exprimé leur opposition à la disparition de différents régimes.

► L’enjeu c’est un choix de société, un rapport de force national global, contre le néolibéralisme, contre le MEDEF, contre Macron, contre l’Union européenne.

PREMIÈRE PRIORITÉ :

CONVERGER POUR LE MAINTIEN DES 42 RÉGIMES, POUR LE RETRAIT DE LA REFORME.

Macron martèle que le principe de sa réforme, les points, « n’est pas négociable ».

Donc c’est binaire : soit on accepte la retraite à points, soit on la refuse.

La réforme concerne tout le monde : jeunes, actifs, retraité-e-s, chômeurs, public, privé, régimes spéciaux, encore plus les femmes. Il faut faire converger les luttes pour le retrait de la réforme.

ENSUITE NÉGOCIER SUR DES PROPOSITIONS DE RECONQUÊTE :

Depuis de Gaulle en 1967, puis Séguin – Balladur,… les régressions se sont accumulées. Une fois le rapport de force constitué, la réforme abandonnée, il faut reconquérir le terrain perdu, obtenir de nouvelles avancées. « Yes we can », oui ensemble nous pouvons gagner !