La réforme de l’assurance chômage
Article de Jean-Claude CHAILLEY publié dans le n° 183 du journal RESO (juillet/août 2019)
Mis en ligne le 24 septembre 2019

Objectif : 3,4 milliards d’économies à fin 2021, 6 à 700 000 chômeurs concernés !

Emmanuel Lechypre, très libéral éditorialiste économique de BFM : « On n’attaque pas le chômage, on attaque les chômeurs. A la prochaine récession, ce sera un bain de sang » Muriel Pénicaud conclut sa conférence de presse par un lapsus significatif : "C’est une réforme contre le chômage et pour la précarité ."

Pour à Emmanuel Macron il n’y a pas de problème de chômage « il suffit de traverser la rue » . Avis partagé par Christophe Barbier : "Sur le fond, peut-on être sûr que les chômeurs seront incités à prendre les postes qui leurs sont proposés ?" "Non, je crains que ça ne soit pas assez efficace, car ce n’est pas assez violent , tout simplement."

I La place de la réforme dans la politique gouvernementale

- Suite à la Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, le gouvernement va procéder par décrets.

- L’échec des négociations entre patronat et syndicats était programmé par la fiscalisation de l’assurance chômage, les cotisations salariales ayant été remplacées par la CSG. Qui dit fiscalisation, dit gestion par l’État, excluant les syndicats.

- L’assurance chômage fait partie avec la Sécurité sociale de la protection sociale, toute en voie de fiscalisation. Ce qui est en cours c’est le basculement général sur le modèle anglo-saxon fondé sur un « socle » minimaliste fiscalisé + l’extension massive du privé.

► Emmanuel Macron s’oppose frontalement à la Sécurité sociale d’Ambroise Croizat : "Nous sortons réellement d’un système assurantiel où chacun se dit : ’J’ai cotisé, j’ai droit à être indemnisé’ .

La fiscalisation – 70 milliards d’exonérations et exemptions – c’est la fin du droit à être indemnisé. C’est le basculement sur le modèle des USA, de la Grande Bretagne… vers des allocations forfaitaires au seuil de pauvreté, « un filet de sécurité sociale » (Macron – Buzyn) et le développement sans fin du privé.

Une seule solution progressiste : restaurer la cotisation, part du salaire qui est socialisée, condition pour reconquérir une gestion pilotée notamment par les représentants syndicaux des salarié-e-s….

► C’est aussi le meilleur moyen de réduire les dividendes qui battent record sur record.

- Les élections européennes passées, ils mettent en œuvre le socle européen des droits sociaux - dont Emmanuel Macron était un chaud partisan - en réduisant progressivement les droits au-dessus du « socle ».

- Emmanuel Macron a pris l’engagement devant l’Union européenne (semestre européen) de rendre la protection sociale encore plus excédentaire que maintenant. Coup double : la baisse des prestations chômage, retraite, maladie,… entraine la nécessité de compléter par des complémentaires, des assurances privées individuelles, des fonds de pension…

II Le chômage en France : 6,2 millions d’inscrits à Pôle emploi.

- Pôle emploi : « En moyenne au premier trimestre 2019, en France métropolitaine, le nombre de personnes inscrites à Pôle emploi et tenues de rechercher un emploi (catégories A, B, C) s’établit à 5 603 400. Parmi elles, 3 391 900 personnes sont sans emploi (catégorie A) et 2 211 500 exercent une activité réduite (catégories B, C).

- En outre : « 621 300 personnes inscrites à Pôle emploi ne sont pas tenues de rechercher un emploi. (catégories D et E) .

- Sur un mois, 48 % de ces 6,2 millions ont été indemnisés par l’assurance chômage.

- Quand bien même toutes les offres de Pôle emploi seraient immédiatement acceptées … il resterait 90 % des chômeurs sans proposition (+ ceux qui découragés ne sont pas inscrits à Pôle emploi) !

- Les communiqués de victoire, les élucubrations sur le chômage dit » structurel », servent à faire accepter ces chiffres comme normaux alors qu’ils sont la conséquence des politiques économiques et sociales menées, et à masquer qu’il y a des alternatives.

- Le taux de chômage actuel au sens du BIT (INSEE) était de 6,8 % en France métropolitaine en 2007. On crie victoire alors qu’il est de 8,5 % actuellement et que la prochaine récession est annoncée.

- Montant de l’indemnisation : parmi les 48 % d’indemnisés, plus de la moitié sont sous le seuil de pauvreté.

Les médias laissent entendre que le chômage c’est l’opulence. Réalité : fin décembre 2017, 50 % des allocataires ont moins de 860 € net par mois, 5% ont plus de 1810 € net.

Le taux de remplacement net baisse avec le salaire, apportant de la solidarité comme pour la Sécurité Sociale : de 79 % pour le SMIC à 64 % au-dessus de 3000 €.

Inégalité : le montant moyen net perçu est plus élevé pour les hommes (1029 euros en septembre 2016) que pour les femmes (793 euros)

III Le financement : objectif 3,4 milliards d’économies à fin 2021

- Voici le résultat de la flexibilité créée par l’arsenal de lois des gouvernements successifs (Rebsamen, Macron, Sapin, El Khomri, Pénicaud…) :

70 % d’embauches de moins d’un mois, dont 85 % par le même employeur.

87 % des embauches par CDD, dont 1/3 de CDD d’un jour.

- La précarité coûte « un pognon de dingue » : 9 milliards (Muriel Pénicaud)

- Pas de problème de « déficit ». Unedic mars 2019 : malgré le chômage de masse « le déficit annuel d’Assurance chômage se réduit depuis 2016 : il devrait atteindre 9 milliards € en 2019, l’année 2020 enregistrerait un déficit de 0,4 milliard € et l’excédent serait de 1,4 milliards € en 2021 ».

- L’arme délibérée de la dette : Unedic : « entre 2008 et 2018, la dette de l’Unedic est passée de 5 milliards € à plus de 35 milliards € ». Ce n’est pas que la crise : l’Unedic verse 3,5 milliards par an à Pôle emploi qui devraient être dans le budget de l’État.

Il y a aussi le coût de la « permittence », les contrats courts, qui se montent à 9 milliards.

- Les cotisations sont donc très supérieures aux prestations : l’Unedic est DEJA excédentaire.

IV Les principales mesures annoncées par E Philippe / M Pénicaud pour faire plus de 3 Md d’économies sur le dos des chômeurs !*

1) Le bonus – malus des contrats courts

La cotisation chômage employeurs est de 4,05 % de la masse salariale. Elle sera modulée entre 3 et 5 %.

- La généralisation des contrats courts, la précarité, ça a un nom : la galère. L’augmentation de la cotisation de 4,05 à 5% pour les entreprises de plus de 11 salariés est insuffisante pour être dissuasive.

- Les contrats courts coûtent 9 milliards à l’assurance chômage. Aucune économie prévue : les bonus employeurs équilibreront les malus, (voire seront bénéficiaires).

- Il est inadmissible qu’il y ait un bonus pour ce qui est la norme, le CDI, sauf à considérer que la pratique « normale » c’est de ne rien respecter.

- Le bonus a pour but de fragiliser encore plus la protection sociale.

- Après hurlements du patronat, seuls 7 secteurs sur 38 seront concernés. C’est une autorisation d’abuser pour les autres.

Démagogie ordinaire au RN. Mme Le Pen dénonce la réforme de l’assurance chômage comme un « nouveau coup de rabot » du système français de protection sociale.

Mais dans le concret Monsieur Mariani dénonce la minime taxation des contrats courts !

2) Les CDD d’usage (utilisés pour les secteurs le nécessitant des CDD à condition de ne pas remplacer des postes permanents)

- Chaque CCDU aurait une taxe de 10 €, peu dissuasive aussi.

3) Lutte contre les chômeurs qui « gagneraient plus au chômage qu’en travaillant »

- Comme toujours le chômeur, la chômeuse contraint(e) d’enchaîner des mi-temps ou des CDD est considéré(e) comme ayant choisi le privilège de galérer.

- L’Unedic a répondu à Mme Pénicaud qu’il est impossible de gagner plus au chômage qu’en travaillant, le taux de remplacement étant de 79% au maximum.

Explication de la manipulation de Mme Pénicaud :

o La règle : on calcule le SJR, Salaire Journalier de Référence, en divisant la somme des revenus perçus sur les 12 derniers mois par le nombre de jours travaillés. On en déduit le montant de l’allocation journalière puis en multipliant cette dernière par le nombre de jours indemnisables (30, 31 ou 28), on obtient l’allocation mensuelle du chômeur.

o Conséquence : quelqu’un qui a travaillé toute l’année à mi-temps par exemple à 50 € par jour a un SJR de 50 €. Quelqu’un qui a travaillé 6 mois à 100 € par jour a un SJR de 100 €. Leur revenu sur une base annuelle est le même. Ils seront indemnisés par exemple sur la base de 79 ou 72 % du SJR. Le chômeur dont SJR était de 100 touchera plus car son salaire mensuel était double. Mais il sera indemnisé moins longtemps et le total des indemnisations sera le même.

► Mme Pénicaud dénonce qu’« une personne qui travaille à mi-temps au Smic perçoit un salaire de 740 euros par mois. Mais si elle alterne 15 jours de chômage et 15 jours de travail dans un mois, elle percevra un revenu de 960 euros ».

960 € étant la richesse selon Mme Pénicaud, elle va les effondrer.

4) Réduction des droits pour accéder à l’assurance chômage : 2,85 milliards d’économies

Il faudra avoir travaillé 6 mois sur les 24 derniers mois au lieu de 4 mois dans les 28 derniers moins. Cette mesure exclurait entre 250 et 300 000 demandeurs d’emploi, plus particulièrement les femmes et les jeunes, principales victimes du temps partiel subi et des contrats courts

5) Rechargement des droits plus difficile (Allongement des droits lorsqu’on reprend le travail avant la fin des droits. C’est une des multiples incitations à reprendre le travail le plus tôt possible)

Le seuil minimal de rechargement serait fixé à 6 mois, au lieu d’un mois aujourd’hui. Près de 750 000 personnes verront leur indemnité diminuer drastiquement ou être supprimée.

6) La réforme systémique contre tous les salariés commence par les cadres du privé

- Les cadres dont le salaire est supérieur à 4500 euros bruts verront leur allocation réduite de 30 % au bout du 7ème mois, avec un plancher de 2261 euros nets par mois, sauf ceux qui ont plus de 57 ans.

- Il ne s’agit pas d’économies : ces cadres sont peu nombreux et peu au chômage. ils cotisent beaucoup plus qu’ils reçoivent.

- La raison véritable c’est d’imposer une réduction drastique, limitée par un plancher de 2261 € pour l’instant, mais destiné à aller vers le nouveau filet universel de sécurité sociale de Macron – Buzyn qu’ils veulent infliger sous couvert de lutte contre la pauvreté Cf. « Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté ».

- C’est la conséquence de la fiscalisation en cours, un système copié entre autres sur l’Allemagne, préparant la sortie des cadres de l’assurance chômage et de la Sécurité Sociale vers les assurances privées.

- Signez la pétition CFE - CGC / UGICT- CGT http://www.ugict.cgt.fr/articles/actus/allocations-chômage.

7) Indemnisation des Indépendants et des démissionnaires

- Les indépendants devront avoir généré un revenu minimum de 10 000 euros par an sur les 2 dernières années, avant la liquidation judiciaire et bénéficieront d’une indemnisation plafonnée à 800 euros par mois pendant 6 mois.

- Le but est d’aider les entreprises – et bientôt la fonction publique - à « convaincre « les salariés de sortir du salariat. Lors des plans sociaux la création d’entreprises – dont la plupart font faillite - est fortement encouragée.

- Il s’agit aussi d’effacer la distinction entre salarié et non salarié. Or le droit du travail est fondé sur la notion de salariat. Derrière la réforme il s’agit de poursuivre l’objectif de remplacer le droit collectif par le contrat individuel, en se débarrassant en même temps des syndicats, rêve du patronat depuis toujours.

- Le plafonnement de 800 € est appelé à se généraliser comme filet universel de sécurité.

8) La tarte à la crème de « l’accompagnement »

Chaque agression a un remède supposé soulever l’enthousiasme des victimes : « l’accompagnement » ! Il vaudrait mieux abandonner ce décret, créer des emplois en changeant de politique économique et sociale, les 35 heures…

Remarque : si la réforme à points passe, la notion de 25 meilleures années…disparaissant, la baisse des droits pour les chômeurs sera amplifiée sur le montant de la retraite.

Un programme progressiste doit inclure la reconquête de la protection sociale !

- Dans l’immédiat il faut lutter contre les réformes en cours : assurance chômage, Ma santé 2022, Transformation de la fonction publique, retraites,...

- Il faut un programme ambitieux de reconquête de la Sécurité Sociale, de la protection sociale, à hauteur des exigences et possibilités du XXIème siècle, mais selon leurs principes fondateurs, plus accessibles et plus modernes que jamais.