La modernité politique est moteur de liberté. Ne pas se laisser confisquer les fruits de notre révolution
Par Soad BABA AISSA, Militante féministe
Mis en ligne le 1er avril 2019

Lorsque le 22 février, l’Algérie se met en marche pour la reconquête de sa dignité, c’est la fin de 57 années d’humiliation. C’est l’espoir de liberté, de dignité, d’égalité pour l’’édification d’une future République démocratique et sociale.

Depuis quatre semaines, 17 millions de femmes, d’hommes sont l’expression d’une prise de conscience collective pour s’opposer au pouvoir autocratique du clan Bouteflika, à la destruction de la souveraineté nationale, à la corruption et à un système politique qui a détourné les idéaux de la lutte de libération, tronquée l’histoire et les Algériennes en sont le symbole visible.

Dès 1963, le fleuve de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes est détourné. Comme source, de droit, l’Etat FLN, parti unique, consacre le modèle traditionnel de la famille patriarcale, La classe politique conservatrice se cache derrière la religion pour voter, en 1984, une loi de statut personnel inique – rebaptisé à juste titre, « code de l’infamie » qui perpétue la hiérarchisation des sexes et institutionnalise l’infériorisation des femmes.

Cette violence institutionnelle va entraîner des comportements et des attitudes misogynes et sexistes jusqu’au cœur de l’Etat et de ses institutions.

Les années 1990 marquent l’ampleur de la violence subie par les femmes. Les maquis islamistes ont laissé des traces indélébiles dans la société algérienne : assassinats, enlèvements, viols collectifs, enfants nés des viols. Elles sont nombreuses à avoir payé de leur vie ce refus de l’ordre islamiste (Amel Zenoune, Katia Bengana, Nabila Djahnine, etc).

Dès 1999, Bouteflika et sa politique de concorde civile et de réconciliation nationale détruisent les fruits de la résistance active des Algériennes et de tout un Peuple. De plus, la compromission de l’Etat algérien avec l’islamisme se fait au détriment des droits fondamentaux des femmes. Les amendements promulgués en février 2005 modifient et complètent la loi de statut personnel mais ils comportent uniquement quelques changements à caractère très interprétatif au statut des femmes, en raison de la collusion entre le pouvoir et les islamistes. Les aspects les plus obscurantistes de ce code sont le maintien du wali (tuteur matrimonial), la polygamie, la répudiation, l’inégalité dans l’héritage, l’absence d’autorité parentale partagée et la reconnaissance légale de l’inégalité dans le témoignage (deux femmes valent un homme !). Il est l’illustration parfaite de cet islamisme « modéré », de la nouvelle sémantique des prestidigitateurs du verbe.

L’islamisation des esprits et l’idéologisation de la foi sont au programme de l’éducation de la jeunesse et de tout un peuple. L’absence de liberté individuelle et collective, la « hogra », le chômage, les violences étatiques, économiques, sociales marquent le quotidien des Algériennes. Le voile de la régression sociale et sociétale s’accentue et augmente le désespoir des femmes, elles deviennent aussi candidates à l’émigration clandestine qu’elles soient célibataires ou mères de famille.

Instaurer une revendication féministe de longue date : L’Etat de droit pour construire l’Egalité entre les femmes et les hommes.

Dans un pays où la femme sans la tutelle du mâle, mari, père ou frère, est considérée comme une « prostituée », elles ne peuvent exprimer des revendications de liberté et de dignité sans être jugées négativement par la société. De la revendication du droit au travail, au droit de prendre des décisions quant à leur choix de vie (études, conjoint, orientation sexuelle, etc.), les femmes aspirent à la prise en considération de leurs opinions, au respect et à la reconnaissance de leur place dans la société. Les jeunes femmes expriment, de plus en plus, le souhait d’habiter seule, voyager, vivre sans être tout le temps contrôlées.

Ce 8 mars 2019 a un enjeu particulier, les Algériennes manifestent et les Algériens sont à leurs côtés. Avec enthousiasme, elles mettent en avant leurs revendications féministes : citoyenneté, mixité, laïcité, égalité des droits, lois civiles égalitaires, lutte contre toutes les formes de violences, droit à la santé, etc.

Avec cette révolution citoyenne, elles reprennent leur destin en main. Pas question d’être, à nouveau, magnifiées par leurs "frères de révolution" et glorifiées pour qu’ensuite leurs revendications de citoyenneté, et de justice sociale soient reléguées au second plan. Parler de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, c’est édifier les fondements d’un Etat de droit, de la démocratie, revendications des organisations féministes depuis plus de 30 ans.

Comment le futur Etat algérien pourrait-il s’exonérer encore de ses responsabilités face au poids des mentalités qui pèsent sur l’évolution du rôle des femmes et sa place au sein de la famille et de la société ?

Depuis quelques années, un certain dynamisme associatif réapparaît, les réseaux sociaux sont des lieux d’expression où les jeunes filles, les femmes s’expriment et affrontent une société qui les étouffe sous le poids du patriarcat et des codes religieux du fait de cette compromission du pouvoir avec l’islamisme politique. Toutefois, elles sont loin d’être résignées et elles aspirent, à une vie meilleure, à une citoyenneté pleine et entière pour passer de l’autonomie à un réel processus de libération.

Depuis 57 ans, les Algériennes attendent que leurs droits et leur dignité soient reconnus et appliqués. La future constituante devra être à la hauteur des enjeux, c’est-à-dire la rupture avec la matrice idéologique de l’islamisme politique et l’abrogation de l’article 2 de la constitution algérienne, qui proclame l’islam religion d’Etat, qui est une entrave à la liberté de conscience et à l’émancipation citoyenne.

L’abrogation du code de la famille et la révision des réserves de l’Algérie concernant certains articles de la Convention internationale de lutte contre toutes formes de discrimination contre les femmes (CEDAW) est le fruit des luttes des Algériennes pour la mise en œuvre de lois civiles égalitaires, la reconnaissance de l’universalité de leurs droits et l’intérêt commun à combattre les stéréotypes liés au relativisme culturel. Le système Bouteflika, avec ses alliés islamistes, présentent ces revendications et cette convention comme un instrument de l’occident destiné à détruire les sociétés et les valeurs suprêmes de la famille au nom de la préservation de nos spécificités culturelles.

Les Algériennes aspirent à la modernité politique, question politique centrale, qui doit les mener vers l’égalité politique, économique, sociale et culturelle. Nos combats de femmes, d’Algériennes, d’héritières de l’immigration algérienne, sont autant de leçons de l’histoire à retenir afin de sauver de l’anéantissement total les pousses de nos revendications et de ne pas se laisser confisquer les fruits de notre révolution citoyenne.