La gauche perd-elle la boussole ?
Par Thierry Seveyrat
Mis en ligne le 9 octobre 2018

Nous venons d’assister à l’instructif retournement de deux combats, constitutifs de l’ADN de la gauche, qui a toujours voulu les associer et le plus souvent, les penser ensemble : la lutte contre une vision raciale de la société, et partant racialiste, et bien souvent raciste ; mais aussi la lutte pour la liberté sexuelle, qui ne se réduit pas au féminisme, qui concerne aussi les personnes homosexuelles, bisexuelles et transexuelles, et qui combat le sexisme. La gauche s’est toujours prévalue d’être antiraciste et antisexiste mais aussi, et cela a son importance, anticléricale.

Or la notion même de race, qui figurait dans la constitution, vient d’en être abrogée, en même temps que le cortège LGBT de la gay-pride cette année a racialisé sa tête de cortège, en en excluant toute personne de couleur blanche ; une photographie très commentée de l’actuel président de la République française est venue consacrer ce moment, où les membres du groupe de danseurs gays noirs DJ Kiddy Smile ont posé au sein même de l’Élysée, autour du chef de l’État et de son épouse, lors de la dernière fête de la musique. Apogée d’un combat, ou son retournement ?

Il est surtout possible de parler de dévoiement. Car ce qui vient d’avoir lieu n’est pas un progrès dans la lutte contre le racisme, ou contre le sexisme, mais au contraire le retour à un stade antérieur, qui est l’affirmation des communautés contre l’intérêt supérieur de la nation, une et indivisible. Voici que les gays ont leurs passages cloutés ( !) ; voici qu’on somme les personnes blanches, réduites à leur pigmentation de peau, de se faire discrètes ; voici que le refus de la mixité progresse dans plusieurs couches de la société, musulmane et catholique ; voici aussi qu’une loi qui empêchait les congrégations religieuses d’opérer pour ce qu’elles sont dans le débat public, les invisibilise désormais, c’est-à-dire les rend plus puissantes. Le droit à la différence, ennemi de l’universalisme républicain où tous les citoyens sont égaux en dignité et en droits, devient un fait législatif, et de plus en plus constitutionnel. L’assimilation qui fait société dans un droit à l’indifférence qui émancipe périclite.

Nous glissons vers un ordre politique qui catégorise les citoyens, les segmente, mais aussi les assigne, et phagocyte l’espace social. L’ordre des communautés, qui est le projet social du macronnisme, vient colorier une société qui n’a plus rien pour la relier, ni son histoire qui est attaquée, ni sa neutralité religieuse qui garantit la liberté de conscience de tous, ni ses services publics qui disparaissent, ni ses symboles collectifs qui sont ornés des drapeaux particuliers arc-en-ciel. Nous glissons littéralement vers l’anomie, qui est une phase avancée du libéralisme, ennemie de la République. Si une refondation politique doit exister, à l’heure où l’organisation étudiante de la gauche choisit le djilbeb pour célébrer le demi-siècle de Mai 68, elle voudra refonder le bien commun, public, universel et laïque, sans lequel nous allons à la guerre civile.